Radio et télévision suisse romande au service du public

Numéro 23 – Septembre 2009

En attendant la fusion prochaine de la radio et de la télévision – ce qui semble être plutôt une convergence, selon la volonté de ses initiateurs – CultureEnJeu donne la parole aux directeurs des programmes de la Télévision suisse romande et de Radio suisse romande dans la suite de notre dossier Fusions sans Effusions (CultureEnJeu n°22).

Isabelle Binggeli, directrice des programmes à la RSR

Quelle est la différence entre le public en 2000 et le public en 2010 ? Est-ce que le public a changé ?

Le public nous est très fidèle. Le socle qui fait notre base, c’est-à-dire le public qui écoute la radio et se laisse séduire par ce que nous lui offrons, est toujours là et est toujours majoritaire. Néanmoins, il existe aujourd’hui un autre public, de plus en plus nombreux et aussi lié aux nouvelles générations, qui suit la formule « la radio où je veux quand je veux » et choisit ses contenus. Il faut alors une réflexion transversale, c’est-à-dire mettre en valeur les contenus indépendamment de la chaîne, et proposer divers axes thématiques. Actuellement, nous mettons en place toute une panoplie d’instruments pour pouvoir répondre à cette demande. Il y a dix ans, nous étions extrêmement axés chaîne, c’était vraiment la valeur de référence, avec une concurrence certaine entre les chaînes. La culture d’entreprise a considérablement changé, nous sommes passés à une vision plus transversale.

Quels sont les moments forts d’audience ?

Le public nous écoute toute la journée. Évidemment, le Journal du matin est le point fort, mais sur tout l’éventail des émissions proposées, toutes fonctionnent franchement assez bien, voire très bien. Couleur 3, par exemple, a passé de 130’000 auditeurs en 2005 à 160’000 en 2008. La première caracole en tête avec 600’000 auditeurs chaque jour.

Quelle est la différence entre une radio privée et la radio publique ?

Le service public est regi par une loi, la LRTV, et une Concession. Notre façon d’envisager le média est différente. D’abord, nous sommes un média indépendant, nous ne sommes pas tenus par des contraintes d’ordre publicitaire. La redevance nous offre une liberté extraordinaire – elle représente 95% de notre budget – mais il y a aussi un certain nombre de devoirs qui vont avec.
La radio privée est une offre différente, souvent d’abord musical, mais elle est aussi une concurrence. Elle contraint le service public à se redéfinir et à se profiler en permanence, ce qui est positif : une chaîne comme La Première est à près de 70 % parlée. Ainsi elle marque sa différence.

Êtes-vous amenée à renouveler les émission régulièrement ?

Cela dépend des grilles – on gère 4 grilles en même temps (La Première, Espace 2, Couleur 3, Option Musique) – et cela dépend des époques. Quand nous élaborons une grille qui fonctionne bien, nous la faisons évoluer, mais nous ne faisons pas de révolution. Parfois, pour de multiples raisons, nous pouvons avoir un problème avec une grille. Alors, la qualité doit rester le critère absolu. Nous travaillons les émissions à la fois sur le contenu et sur la dimension formelle, qui est extrêmement importante.

L’audimat est-il le principal critère de suppression d’une émission ?

Nous laissons toujours une chance à l’émission. Le système de la radio est très différent de celui de la télévision. La télévision dispose d’audiance quotidienne, alors que nous recevons nos audiances tous les mois. De plus, toutes les émission progressent. En radio, la plupart des émissions sont quotidiennes, donc les gens qui les font peuvent retravailler tout de suite ce qui ne va pas. Ce qui me fait réagir très vite n’a rien à voir avec l’audience mais avec une certaine idée que l’on peut avoir de l’auditeur. Par exemple, je ne supporte pas la vulgarité. S’il y a tout à coup des dérapages à l’antenne, je peux réagirs assez violemment.

Est-ce qu’il y a une grande différence entre une gestion 2000 et une gestion 2010 ?

C’est devenu un peu plus dur, nous devons réagir plus vite. La pression de la concurrence est aussi plus forte. Les auditeurs interagissent rapidement : nous savons très vite si nous sommes à côté de la plaque. Alors, nous recentrons. Mais, ce qui est génial en radio, c’est que le public nous suit – en tout cas jusqu’à maintenant.

À la radio, êtes-vous plus indépendant ?

Tant la radio que la télévision de service public sont parfaitement indépendants des pouvoirs politiques.

Faut-il garder la publicité ?

La publicité est interdite en radio. Notre part de parrainage est de 3%. Ce n’est pas énorme mais cela permet de faire des choses.

Quel est à vos yeux le rôle de la radio en tant que service public ?

Le service public doit proposer une offre d’information, de formation, de culture et de divertissement, et nous travaillons toujours sur ces quatres axes. La partie information constitue le pilier majeur du service public, mais il y a aussi tout un travail de formation au sens large, c’est-à-dire, la proposition de magazines sur toute une série de sujets dans le but est que ce coin de pays, cette Suisse romande, réussisse à vivre ensemble, au-delà de considérations ou de freins socio-économiques, culturels ou générationnels.Une radio de service public se doit de mettre tout en action pour que les individus comprennent les enjeux et surtout qu’ils aient toutes les clés pour choisir librement, en tant que citoyen, en tant qu’homme et femme vivant dans notre société actuelle.


Gilles Pache, directeur des programmes à la Télévision suisse romande

Quelle est la différence entre le public en 2000 et le public en 2010 ?

Le public d’aujourd’hui est beaucoup moins homogène, il est plus fragmenté. Nous assistons dans l’ensemble des médias à une thématisation, à une spécialisation et, par conséquent, à une fragmentation du public.

Quel est à vos yeux le rôle de la télévision en tant que service public ?

La TSR est une chaîne généraliste dont la mission est de fédérer un maximum de gens et de toucher le public romand par le regard de la Suisse romande sur la Suisse et sur le monde. Sauf lors de rendez-vous plus particuliers – émissions spécialisées de musique classique ou d’art, diffusées en deuxième partie de soirée – notre mission essentielle est de nous adresser à l’ensemble des romands. Nous y parvenons plutôt bien. Avec des émissions spécialisées, culturelles­, nous nous adressons à un public plus ciblé et urbain. C’est essentiel d’avoir un programme culturel d’ici. Nous essayons aussi de rajeunir le public s’intéressant à la culture.

Quel est le turnover que vous avez ? Avez- vous avez un nouveau public ?

Notre objectif est de conserver le public fidè­le à la TSR tout en cherchant à conquérir de nouveaux publics. Nous le faisons par exemple par la complémentarité entre nos différents écrans, que ce soit l’écran de télévision traditionnel – qui reste évidemment le plus fédérateur – mais aussi les écrans Internet, ou maintenant celui du téléphone portable, amène des publics plus jeunes et plus spécifiques à s’intéresser à l’activité de la TSR, par conséquent aussi au grand écran.

Quand l’audimat ne suit pas, attendez-vous avant de supprimer une émission ou l’arrêtez-vous assez rapidement ?

Chaque émission a une mission dans la grille des programmes et, par conséquent, aussi en termes d’audience. Quand une émission perd son public, nous essayons de corriger le tir si nous estimons que c’est un problème de ligne éditoriale. Si cette désaffection se prolonge, évidemment, nous ne maintenons pas l’émission…

Est-ce qu’il y a une différence dans la gestion du département entre aujourd’hui et il y a dix ans ?

Ces six dernières années, nous avons assisté à une évolution technologique formidable qui multiplie les modes de distribution. Il y a 10 ans, c’était l’âge d’or de la grille des programmes : il y avait un directeur qui construisait une grille et sachant que les publics la regardait, à la télévision. Aujourd’hui, la grille des programmes se construit non seulement sur l’écran de télévision mais aussi sur les autres écrans complémentaires.

Y a-t-il une influence, ou des échanges, entre la TSR et les télévisions tessinoise et suisse alémanique ?

Il y a des échanges de différentes natures, et ces échanges sont extrêmement précieux pour les trois régions. Il y a des échanges dans le monde du sport ainsi que de l’information, qui sont importants puisque l’on prépare des grandes opérations en commun. Nous avons des règles et une déontologie de l’information commune aux trois régions. Et puis, il y a des collaborations ponctuelles comme par exemple la production de La Bohème de Puccini le 29 septembre.

Y a-t-il une base de public commun à la radio et à la télévision ?

Bien sûr. Toutes les études montrent que la consommation des médias est définie par le moment de la journée. Il y a deux moments forts dans l’audience radio : le matin de bonne heure et la fin de la journée, pendant le retour à la maison. La télévision est le média de la soirée. Il y a donc, sans aucun doute, des complémentarités de public.

Faut-il garder la publicité ?

La SSR est financée par la redevance, qui représente environ 2/3 des ressources. 1/3 sont des ressources commerciales – publicité et sponsoring confondus. Bien évidemment, la limitation de la publicité aurait des conséquences extrêmement importantes. Il me semble que l’équilibre que nous connaissons en Suisse est extrêmement satisfaisant ; il permet de ne pas polluer l’écran avec une dose trop importante de publicité et, en même temps, de conserver une redevance raisonnable.

En tant que directeur des programmes, quel rêve aimeriez-vous réaliser ?

Mon rêve serait d’augmenter les productions propres de la TSR.

Est-ce qu’il y a quelques points que vous aimeriez développer ?

En cette période, où il y a une explosion de l’offre, suivie d’une atomisation des publics, je pense que la différence se fait sur la qualité. Le rôle d’une télévision généraliste de service public n’est pas seulement de courir après l’audimat, mais c’est aussi d’avoir une offre exigeante qualitativement. La force de la télévision est de permettre au public de comprendre la complexité du monde dans lequel il vit à travers l’information, mais aussi de l’« instruire », de le divertir ou le distraire.