Édito n°28, décembre 2010 – Francophonies
Le XIIIe sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s’est tenu à Montreux du 22 au 24 octobre dernier. Depuis 1986, l’OIF organise tous les deux ans des « Sommets de la Francophonie » qui rassemblent les chefs d’État et des gouvernements des pays membres autour d’un programme d’action à définir en fonction des objectifs de l’Organisation, mais également sur des urgences dictées par l’actualité.
Illustration © 2010, Bruno Racalbuto
C’est en 1969 qu’André Malraux, homme de lettres français et ministre de la Culture, organise à Niamey (Niger) la première Conférence des États francophones qui jette les bases et les principes de la future Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). Cette dernière voit le jour en 1970 sous l’impulsion de trois chefs d’État africains, Léopold Senghor du Sénégal, Habib Bourguiba de Tunisie et Hamani Diori du Niger, sans oublier le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge. Au départ, cette agence regroupait 21 États et gouvernements. L’ACCT se donne « le devoir d’être l’expression d’une nouvelle solidarité et un facteur supplémentaire de rapprochement des peuples par le dialogue permanent des civilisations ».
Aujourd’hui, l’Agence a pris le nom d’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Elle rassemble 75 États et gouvernements. Ses objectifs sont, dans le respect de la souveraineté des États, de leurs langues et de leurs cultures, d’aider :
- « à l’instauration et au développement de la démocratie, à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, et au soutien à l’État de droit et aux droits de l’Homme ;
- à l’intensification du dialogue des cultures et des civilisations ;
- au rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle ;
- au renforcement de leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue de favoriser l’essor de leurs économies ;
- à la promotion de l’éducation et de la formation. »
L’OIF utilise pour l’application de son programme les instruments suivants :
- l’Agence Universitaire de la Francophonie (l’AUF) ;
- TV5, la télévision internationale francophone ;
- L’Université Senghor d’Alexandrie ;
- L’Association Internationale des Maires et responsables des capitales et des métropoles partiellement ou entièrement Francophones (l’AIMF) ;
- Les Conférences ministérielles permanentes de l’Éducation (la Cofémen) et celle de la Jeunesse et des sports (la Conféjes).
Ces grands sommets semblent, pour certains, des « usines à gaz » voulant donner à la France un relent de prestige international post-colonial. D’autres y voient un combat d’arrière-garde face à l’envahisseur anglo-américain, une sorte d’ONU-UNESCO francophone. Certes, l’OIF a dépassé actuellement son action avant tout culturelle des premières années et s’aventure de plus en plus dans des domaines politiques. Mais peut-on le lui reprocher ? Cette organisation s’est donné pour tâche d’améliorer les conditions de vie de cette société mondialisante dans laquelle nous sommes amenés de plus en plus à vivre bon gré mal gré.
N’oublions pas que la langue française est présente dans un bassin qui comprend près de 870 millions de personnes – dont 220 millions parlent et écrivent le français – soit un tiers du monde anglo-saxon. Ce qui n’est pas négligeable. L’OIF tente de préserver la diversité des cultures de chaque pays, tout en apportant l’héritage multiséculaire de la culture francophone. Ce n’est pas une lutte contre l’anglais, mais l’affirmation d’un autre point de vue.
L’OIF n’est pas dirigée par la France, mais par des pays excentrés, souvent d’anciennes colonies. C’est ce qui fait sa valeur. Ces pays enrichissent la culture française en lui apportant ce que l’on peut appeler aujourd’hui la culture francophone.
Dans la ligne directe des idéaux de la Révolution Française – idéaux que Napoléon III avait déjà égarés – l’OIF cherche à être un acteur direct en défendant la Démocratie, le droit à l’Éducation, le droit à l’Égalité des hommes et des femmes, entre autres. Le président Senghor voulait un « Commonwealth à la française », c’est-à-dire un partage des richesses. Aider, à travers le véhicule de la langue française et d’une culture française devenue francophone, les pays membres de l’OIF à coopérer et à partager. Pour cela, il faut passer par une volonté politique forte, et c’est cette ligne qu’a entreprise le secrétaire général actuel de l’OIF, Abdou Diouf, ancien président du Sénégal.
Une réflexion sur la place du français dans le monde pose deux questions : y a-t-il aujourd’hui dans une société mondialisée une nécessité d’avoir UNE langue de référence unique, et comment et pourquoi le français a-t-il accédé historiquement à ce statut ? La réponse à la première question n’est pas simple et ne saurait être réduite à des considérations uniquement économiques ou pseudo-techniques. Le choix qu’a fait la Suisse révolutionnaire de 1848 pourrait servir de modèle. Il a été à la fois profondément politique et pragmatique, répondant à des besoins de cohésion. Le modèle helvétique est intéressant et on ne peut que regretter le recul imposé par la majorité alémanique du Conseil des états : il a imposé le libre choix des cantons entre l’anglais et une langue nationale comme première langue enseignée. Quant à la deuxième question, nous en donnons quelques éléments de réponse ci-après.
Au XVIe siècle, le latin est la langue universelle utilisée aussi bien par l’Église que par l’Empereur. Qui ne connait pas le latin n’a pas accès au savoir, à la culture, au pouvoir et à la connaissance de tous les arcanes de l’administration. Le latin est la langue de toute personne cultivée, et qui ne possède pas le latin est exclu de fait de la vie publique.
En 1539, par « l’ordonnance de Villers-Cotterêts », François 1er impose le français comme langue dans tous les actes officiels pour que « les arrêts soient clairs et compréhensibles, et afin qu’il n’y ait pas de raison de douter sur le sens de ces arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il ne puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ni de raison d’en demander une explication. » Le roi de France voulait ainsi dépasser les difficultés d’interprétation des textes officiels en latin. C’était à la fois une ouverture pragmatique de gestion du royaume mais aussi, bien sûr, une manière d’asseoir son pouvoir face à son adversaire, l’empereur Charles Quint.
Le français ne va pas s’imposer facilement aux différentes populations qui pratiquaient plus volontiers les dialectes et les patois. Mais, sous Louis XIV, la langue de Molière va supplanter le latin et devenir à son tour la langue de la diplomatie et des élites européennes. Dès la fin de la Première Guerre Mondiale, le français rayonnant de l’empire colonial de Napoléon III commence à perdre du terrain devant l’anglais qui, après la Seconde Guerre Mondiale, et surtout après la chute du mur de Berlin, devient l’idiome international indispensable aux affaires, après avoir été la langue de la liberté et surtout de la modernité. L’anglo-américain du XXIe étant devenu – culturellement et linguistiquement – le véhicule mondiale de la globalisation, quelle est encore la place de la langue française ?
Aujourd’hui, la France a perdu ses colonies, mais la langue et la culture française qu’elle leur a apportées – et souvent imposées – y sont encore très présentes. Dans de nombreux pays africains, le français reste la langue de l’administration, du pouvoir, des électeurs. Celui qui ne parle pas le français, ne sait pas le lire ou l’écrire est un citoyen de seconde classe et, surtout, ne peut pas voter. Le français est donc devenu dans ces pays la langue de la classe dirigeante. Que ce soit au Bénin, au Burkina Faso, en Égypte ou en Algérie, on a plus de chances de trouver un travail si on parle le français.
Au Bénin, le français est la langue officielle, même si elle n’est parlée que par 20 % de la population et que les Béninois s’expriment quotidiennement dans une quarantaine de langues. Le grand nombre de langues africaines – plus de 20 au Sénégal, 30 au Mali, etc. – rend les échanges difficiles entre les pays. Les langues des anciennes colonies françaises ou anglaises sont donc devenues des instruments pratiques de communication. Les objectifs de l’OIF sont louables mais souvent difficilement applicables. Son appareil administratif est lourd et l’Organisation reste parfois prisonnière de quelques compromissions politiques.
Même si certains États membres essayent de profiter de l’aura internationale de l’OIF pour en tirer des avantages personnels, il ne faut pas sacrifier cette belle utopie pour autant.
La chance actuelle de la francophonie, c’est de ne plus avoir à assumer la propagande du puissant, imposée par des impératifs économiques, financiers et militaires, mais de pouvoir garder la liberté et la capacité d’écouter l’autre et de favoriser des rencontres et des échanges entre les pays riches du Nord et ceux moins favorisés actuellement du Sud.