Être star à la vie à la mort

Numéro 29 – Mars 2011

Être star, être cette étoile qui brille au-dessus du monde, adulée du public, quel beau rêve ! Mais, tôt ou tard, l’être tant chéri du public sera confronté à sa versatilité. L’image flatteuse tant convoitée pourrait n’être qu’un malentendu, le désir de la maîtriser une illusion. Déjà s’insinue le doute. Car le succès n’est pas un long fleuve tranquille. Il entre dans le statut de star une démesure qui génère une tension permanente entre l’image porteuse de rêves immenses et la personne réelle, un déséquilibre qui peut aller jusqu’à la destruction.

Le cinéma hollywoodien a projeté sur grand écran des créatures de rêve, femmes magnifiques en particulier, ambassadrices d’amour, sex-symbols adulés dans une Amérique triomphante d’après-guerre, qu’on imaginait, vue d’Europe latine, terre de toutes les libertés, de toutes les audaces, souriante et tolérante. En réalité, l’Amérique profonde, majoritaire, cache sous la bannière étoilée d’une grande nation un patchwork de provincialismes étriqués suris de fondamentalisme – du maccarthysme aux tea parties –, d’où émergent des îlots d’extrême créativité et de modernité, cosmopolites, libéraux, New York, Boston, Los Angeles… adossés à la puissance économique de leur industrie culturelle.

Pourtant, c’est Clinton qui devra implorer publiquement le pardon pour une tache malencontreuse sur une robe. L’obsession protestante du péché sans absolution se nourrit de fantasmes sexuels, à peine dévoilés aussitôt réprimés. Les personnes qui les incarnent connaissent à la fois la gloire et l’opprobre. L’une sous les spots qui illuminent la star, l’autre dans l’intimité de la personne. Marylin, comme d’autres, succombera solitaire à 36 ans. Longtemps après sa mort, en découvrant ses écrits, on se rendra compte qu’elle n’était pas la blonde idiote qu’on disait. En revanche, le désastre de ses amours était bien réel, entre prédateurs sexuels comme les Kennedy ou passes minables. L’envers du décor est infiniment triste.

« Ses ailes de géant l’empêchent de marcher » (L’Albatros de Baudelaire)

À peine une décennie plus tard, la révolte de toute une jeunesse annoncée par des fleurs, le rêve multicolore d’une liberté sans rivage émergeant de la grisaille des années 1950 a dévoré ses chantres : Jimi Hendrix, le surdoué, Janis Joplin, parmi d’autres, ont été écrasés par les espoirs qu’ils incarnaient, succombant à la drogue et à ses promesses paradisiaques. Durant son bref passage à l’université, Janis Joplin avait été élue « le garçon le plus laid » du campus. Elle allait laver cet affront par le succès. Leur première drogue fut la reconnaissance de toute une génération. Mais ils venaient de nulle part, n’avaient aucun refuge, issus l’une et l’autre de familles désunies minées par l’alcool. Janis Joplin et Jimi Hendrix, êtres sensibles et exceptionnellement doués, explosent en plein envol, sacrifiés à l’émergence d’un art de masse à laquelle ils ont contribué.

Rétrospectivement, force est de constater qu’ils n’avaient aucune chance, aucun atout en main pour maîtriser un rêve aussi pervers pour les unes, incommensurable pour les autres. Il est plutôt étonnant que des Joe Coker et Ray Charles aient miraculeusement pu refaire surface après avoir connu la déchéance de l’alcool et de la drogue. Plus proche de nous, on annonce le retour de Johnny. Pourquoi eux et pas Renaud ?

« Et qu’as-tu à offrir,
pauvre démon ?
Tu n’as que des nourritures
qui ne rassasient pas ;
de l’or pâle, qui sans
cesse s’écoule des mains
comme le vif-argent ;
un jeu auquel
on ne gagne jamais ;
une fille qui jusque
dans mes bras fait
les yeux doux à mon voisin. »
(Faust de Goethe :
adresse à Mephisto)

Soudain retentit à mes oreilles le refrain d’une chanson de Charlebois « Je veux de l’amour ! » répondant à l’interrogation : pourquoi faire tout ça. Quel adolescent, dans sa difficile quête de filles, ne s’imagine-t-il pas qu’en devenant star il pourra les avoir toutes ? Quelle jeune fille ne songe pas aux attributs accompagnant la notoriété, parures, piscine, accrochée au bras du beau jeune homme que toutes lui envieront ? Mais les amours en foule, multipliées à l’infini, ne sont pas l’amour. Ils n’ont pas pu sauver Dalida, ni Mike Brant ni tant d’autres. L’or promis par ce pacte avec la célébrité te glissera entre les doigts tel du vif-argent. Entre les promesses virtuelles de gloire et la satisfaction des besoins de la personne, le combat sans merci ne peut être gagné sur la seule ambition d’être aimé, de « les avoir toutes ou tous ». Le dur désir de durer exige du talent, un travail permanent sur soi, et aussi, ce qui est plus mystérieux, comme la résilience de Cyrulnik, des atouts. Aznavour trace depuis soixante ans son sillon, nullement indifférent au succès sans doute, mais envers et contre lui. Parce qu’il croit aux mots, à la littérature, à son art. Brel a décidé un beau jour d’arrêter de chanter, en pleine gloire, estimant qu’il avait tout dit. On ne peut qu’admirer, outre son extraordinaire talent, sa lucidité et sa force de caractère. Tout récemment, un reportage sur George Clooney nous dévoilait un héritage familial campé sur des valeurs humanistes et civiques solides, montrant un homme au succès venu tardivement qui a une haute conscience de soi qui lui permet de gérer son image.

Dans les motivations de tout personnage public entre une part plus ou moins grande de narcissisme. Mais celui qui n’a que ça sera tôt ou tard soit écrasé par son image – en cas de réussite – soit par sa disparition.