Rendons à César…

Numéro 52 – Décembre 2016

J’ai vécu jusqu’à récemment dans la paix religieuse. À l’heure des intégrismes tonitruants, où on recommence à tuer tout près de chez nous au nom de Dieu,à voiler la face des femmes, j’ai bien peur d’avoir mangé mon pain blanc.

Dans mon enfance, j’ai reçu la part humaniste du christianisme : charité, amour du prochain. Et une éducation républicaine de mon école qui la prolongeait : liberté, égalité, fraternité. Soit un ensemble de valeurs qui nous unissent, rendent la vie en société possible dans la paix. Je n’éprouvais pas le besoin de me référer à un Dieu, de craindre son châtiment pour être humain parmi les humains. à l’âge de 19 ans, je me suis rendu compte que j’avais cessé de croire. J’étais devenu athée, sans besoin d’accoler un qualificatif à un état qui m’était naturel comme l’air qu’on respire.

La tolérance ne saurait être une tolérance à l’intolérable

Je dois cette liberté à mon pays, à sa démocratie, à l’histoire de Genève, à mes parents, gens tolérants. J’ai reçu un enseignement religieux bienveillant au moment de l’adolescence par un jeune prêtre qui nous parlait de sa foi, de ses doutes. Je l’ai revu des années plus tard. Il avait rencontré l’amour d’une femme et dû renoncer à son sacerdoce. Un choix douloureux. Lui dire que j’étais athée lui aurait fait de la peine.

Jusqu’au jour où on est venu m’agresser avec des signes religieux ostentatoires jusque dans mes classes. Je n’ignorais pas la face obscure du cléricalisme politique, qui prétend régenter la société au nom de Dieu, couvrant des intérêts et des privilèges. Ma mère avait souffert au pensionnat catholique d’Ingenbohl : Dieu n’y était ni bienveillant, ni un Dieu d’amour. Mais tant qu’on considérait dans mon entourage que la foi est une affaire personnelle, et qu’on s’en tenait là, j’avais de la marge.

Aujourd’hui, je suis rattrapé par la violence religieuse ; l’islamisme ouvre une brèche dans laquelle l’église catholique, qui n’a jamais renoncé à son ambition de régenter la société, est prête à s’engouffrer. Ici, on cautionne la Manif pour tous. Là, on assassine au nom d’Allah. Un imam genevois compare les femmes non voilées à des pièces d’un euro qui passent de main en main. On peut alors les séquestrer, marier de force, lapider. Seule une défense stricte de la laïcité peut garantir la paix confessionnelle et sociale, et le respect dû aux femmes, leur intégrité physique, leur libre arbitre. En aucun cas je transigerai sur des droits acquis de haute lutte durant ma vie active de citoyen.

Oui, je suis athée ; mais mes convictions ne regardent que moi, et je ne demande à personne de les partager. Simplement de respecter mes choix humanistes comme je respecte la foi des croyants. Contester la laïcité, c’est s’attaquer à un fondement de la Suisse, au principe qui l’a pacifiée depuis le Sonderbund, dont j’ai bénéficié dans ma génération. C’est un principe d’organisation qui sépare deux ordres : celui de la Cité qui relève de la loi, de la citoyenneté, de l’argumentation, de celui de la foi, de la religion ; il garantit la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire, de pratiquer la religion de son choix à condition que celle-ci n’empiète pas sur les prérogatives de la citoyenneté et respecte les droits humains.

Tu es libre de croire, mais aucune croyance ne peut justifier d’agir contre les lois de la République.

Je suis inquiet. Car je sens qu’il va falloir se battre pour conserver ce qui hier encore allait de soi. Déjà des voix hypocrites s’élèvent pour fustiger « les excès de la laïcité », invoquent la liberté religieuse, parlent de tolérance. Alors soyons clairs : la tolérance ne saurait être une tolérance à l’intolérable, à des idéologies totalitaires qui sous le masque de la religion diffusent des messages de haine, discriminent des groupes humains, imposent des pratiques archaïques criminelles aux yeux de nos lois. La laïcité est un principe vital qui garantit la survie de notre ordre démocratique, sa cohésion. Et j’aimerais dire au croyant, mon frère, en conclusion : je défendrai toujours ton droit à pratiquer ta religion dans des lieux consacrés. Mais si elle te commande de haïr ton prochain, alors méfie-toi. Tu es libre de croire, mais aucune croyance ne peut justifier d’agir contre les lois de la République.