Financement mixte des musées

Numéro 48 – Décembre 2015

Des promesses qui rendent les fous joyeux ?

Le Musée d’Art et d’Histoire (MAH) de Genève doit être rénové, tout le monde en convient. À cet effet, sur un engagement de la Ville de 132 millions, un donateur privé a proposé d’y participer à hauteur de 40 millions. Une aubaine. Faudrait être fou pour refuser. Pourtant…

Un referendum « contre la rénovation et l’extension du MAH » a recueilli en un rien de temps, au début de l’été, 6’000 signatures, sur les 4’000 requises. Y aurait-il donc autant de fous à Genève ? Car nombreux sont ceux qui conviennent, même les fous, que dans un contexte de raréfaction des deniers publics, le financement mixte de la culture permettrait d’affecter plus d’argent pour des buts sociaux. La Loterie Romande en est un exemple. Mais dans le cas du MAH, s’agit-il vraiment d’une promotion de la culture ? Et de quelle culture parlons-nous ?

Commençons par la question fatale : un musée est-il utile ?

À la collectivité, oui. La mémoire, la continuité historique, sont un ingrédient essentiel à l’équilibre de toute société. Les musées en assurent une partie, même si cela ne paraît pas évident au plus grand nombre ; ils contribuent au renforcement d’une identité collective au travers des cultures du passé et d’ailleurs. Il est donc essentiel que l’intérêt public garde le contrôle sur la politique culturelle. La fermeture d’un musée comme la destruction des statues de Bamiyan ne sont pas à prendre à la légère. C’est une optique à courte vue que de les opposer aux besoins sociaux ou à des impératifs de rentabilité.

Privé et public obéissent à des logiques différentes. Il incombe à l’État, gardien du Patrimoine, d’assurer sa pérennité. Le financement privé obéit d’une façon prépondérante aux lois du marché, fluctuantes par définition, tributaires de la loi de l’offre et de la demande qui élimine impitoyablement ce qui n’est plus demandé. C’est pourquoi dans une société où la marchandisation de la culture est devenue dominante, un partenariat public-privé demande à être examiné avec attention, d’autant plus que les défenseurs du bien public ne tiennent pas actuellement le couteau par le manche.

Pour des raisons propres, de grandes entreprises allouent une part de leurs bénéfices à la promotion de la culture ou d’autres œuvres d’intérêt public incitées souvent par des mesures étatiques, dont des réductions d’impôts. Elles se comportent, ce faisant, en mécènes lorsque la contrepartie est indirecte et en tant que sponsors lorsque la contrepartie est directe (publicitaire, financière ou autre). En principe, l’un et l’autre conservent au bénéficiaire son identité, sa finalité.
Il existe, hélas, un échange du troisième type : lorsque par le biais d’un financement privé, un « donateur » s’assure le contrôle entier ou en partie de la mission du bénéficiaire et en dénature la finalité.

Le terme « don » est ambigu et trompeur parce qu’il recouvre les trois types. De même, parler en général de « partenariat public-privé » n’a pas de sens tant qu’on ne définit pas qui fait quoi, comment et pourquoi. Ainsi, on ne peut pas mettre sur le même plan le cas du MAH de Genève et celui du Musée des Beaux-Arts de Lausanne.
Les opposants ont estimé par leur référendum que la rénovation du MAH relevait du troisième type. À savoir, l’appropriation de l’institution par un collectionneur, qui, en homme d’affaires efficace, cherche à gagner en notoriété en offrant sa prestigieuse collection contre un dépôt de 99 ans et assortissant sa contribution de 40 millions de quatre exigences : associer le nom de la Fondation Gandur à celui du MAH (qui deviendrait Musée d’art et d’histoire et Fondation Gandur), faire payer la collectivité pour ce dépôt (locaux, assurances, expositions, publications), abriter sa Fondation dans une aile du MAH comprenant des surfaces d’exposition permanentes pour sa collection d’art antique ainsi que sa collection d’art abstrait contemporain. C’est la conjugaison non négociable de ces quatre conditions qui a été jugée inacceptable et qui a provoqué le référendum, ainsi que des réserves sur la nature du projet architectural accusée de dénaturer le monument.

Même les défenseurs du projet conviennent que le précédent responsable de la culture a été naïf. On rattrapera donc en 2016 un débat qui aurait dû avoir lieu en amont. On verra alors qui est le fou…