L’avez-vous noté ? Comme « sou- ris», le mot «bulle» change de sens. Il était synonyme de légèreté savonneuse, de cocon ou de phylactère dans les cases des dessinateurs de bande dessinée. Le numérique l’a transformé en symbole d’enfermement, de repli sur soi-même entouré de mêmes que soi.

 
Dans le dossier que nous consacrons à la bande dessinée, en marge du festival lausannois BDFIL, nous avons choisi d’évoquer la bulle romande comme métaphore de l’extraordinaire engouement de ce petit coin de planète pour le dessin.

On ne le sait pas assez, la Suisse n’a pas livré qu’Heidi à l’imaginaire collectif mondial. Le neuvième art a été inventé ici, il y a bientôt 200 ans, par le Genevois Rodolphe Töpffer, qui parlait alors de «littérature en estampes».
Ce génie est bien moins célébré que le couteau à usages multiples, et ne bénéficie pas de toute la reconnaissance dont devrait le gratifier le pays qui l’a vu naître. Certes, les filières de formation existent, des festivals témoignent de l’engouement du public pour la BD, mais les soutiens directs aux créateurs, comme peuvent en bénéficier les plasticiens ou les chorégraphes, n’existent pas. Assimilée à un sous-genre littéraire ou à un art visuel non spécifique, la BD n’entre pas dans les catégories officielles.

 
Plutôt que de dire que c’est « pô juste », tel le formidable Titeuf, ses plus ardents défenseurs, réunis sous la bannière « Réseau BD Suisse » ont produit un Manifeste – que nous publions en page 6 – et sont résolus à sensibiliser les milieux politiques à leur cause.
 
Quelle belle perspective que de valoriser un patrimoine à la fois populaire et universel! Il faut espérer qu’ils seront entendus, à Berne et ailleurs, notamment par tous ceux qui ont la charge de valoriser l’image de la Suisse à l’étranger. Les 200 ans de l’invention de la BD trace une échéance stimulante pour agir.
 
S’engager, proposer des solutions, débattre du statut et du financement des créateurs, c’est la vocation de ce magazine, qui a été porté pendant neuf années par Gérald Morin avec ardeur. Au moment de reprendre le flambeau de la rédaction en chef, j’aimerais rendre hommage à sa passion pour la culture, nourrie d’une érudition historique époustouflante. Et que les lecteurs se rassurent, le plaisir de suivre sa plume, avide de transmettre les réflexions d’un connaisseur et les anecdotes d’un initié privilégié, ne leur sera pas enlevé puisque Gérald Morin reste chroniqueur