Pour la défense des Arts Visuels… Parce que la pensée passe aussi par l’image

Numéro 30 – Juin 2011

– Dites, M’dame, à quoi ça va me servir dans la vie, le dessin qu’on fait à l’école ? Ça sert à rien !

– Eh bien, pour un épanouissement plus global, peut-être ?
– Ouais, mais je préfère le skate, les jeux vidéos, Facebook, le rap, pour ça… !
– Bien sûr, c’est ce que tu choisis ! Mais là aussi tu es en contact permanent avec des formes visuelles, et il est important que tu puisses décoder ces univers autour de toi. Ils sont à la base de notre perception du monde.

Savoir observer ce qui t’entoure, globalement et dans tous les détails, c’est utile pour évaluer n’importe quelle situation dans ton quotidien. Le dessin dal vero, par exemple, aiguise ton regard, t’apprend à voir l’essentiel pour pouvoir ensuite le rendre en quelques traits ou en quelques images.

Savoir composer, innover à partir d’éléments donnés, en un mot : créer, c’est utile dans bien des domaines, à la maison, au travail et dans nos relations. Ici, en classe, on le fait avec des lignes, des formes, des couleurs, c’est une approche qui touche tout le domaine du visuel.

Dans ta vie, tu peux « faire avec » ce qui t’arrive, ou, mieux encore, en tirer parti pour imaginer ton avenir.

– Oui, mais pourquoi nous obliger à dessiner ? On peut le faire avec des mots tout ça ! Avec des expériences de vie… des con­cours de skate !

– Si tu veux, mettons tout cela en perspective : un architecte, une styliste, un coiffeur, une décoratrice, un archéologue, un médiamaticien utilisent sans cesse le langage visuel pour se faire comprendre, que ce soit par des plans, des croquis, des dessins, des graphiques ou des photos !

Ce discours typique de beaucoup de nos élèves en dit long sur leur conditionnement dans un monde où tout doit servir à quelque chose immédiatement. Pour pouvoir agir sur un environnement en mutation, il est important que nos élèves – les adultes de demain – apprennent à se connaître, aient confiance dans leurs démarches, construisent leur propre système de pensées de manière équilibrée et développent leur esprit critique dans les différentes formes de pensée.

En principe, notre école base son programme sur les quatre principales formes de pensées, même si souvent elle n’en privilégie que deux d’entre elles :

  • penser par l’expérience à travers la pratique manuelle ;
  • penser par l’abstraction par le biais de la logique et de la théorie ;
  • penser par les mots à travers la lecture et l’écriture ;
  • et enfin penser par la représentation visuelle des images.

La perception à l’aide des images est comparable à celle d’un tableau dans lequel on dispose de toutes les informations nécessaires pour recevoir le message. Sa spécificité est dans la perception immédiate et simultanée de toutes ses composantes. La compréhension en est instantanée, la vision en est globale.

Adultes, nous sommes capables de reproduire intérieurement des images de ce genre. En groupe, nous travaillons d’ailleurs souvent sur des flip-charts avec des dessins ou en utilisant une présentation PowerPoint pour transmettre des informations complexes en images.

Dans beaucoup de professions, nous passons d’un mode de pensée à l’autre avec d’autant plus de facilité que nous les avons pratiquées à l’école et que nous avons pris le temps de nous y exercer.

Nos élèves devraient avoir l’occasion de le faire pendant toute leur scolarité parce que souvent leur « bagage familial » est très inégal. L’école devient alors pour eux un endroit où ils peuvent quoi qu’il arrive trouver des repères adultes à travers leurs maîtres, des moyens d’apprendre dans des espaces et des temps de travail avec un environnement propre à développer leurs relations sociales.

L’école obligatoire doit accueillir tous les enfants ; son programme devrait donc être assez équilibré pour que chacun y trouve suffisamment d’espace pour développer ses potentialités, et non pas privilégier certains domaines (maths, langues) aux dépens d’autres moins directement « rentables » comme les arts visuels, la musique, les travaux manuels, la couture ou la cuisine.

Actuellement, le DFJC (Département de la formation, de la jeunesse et de la culture) soumet à la consultation du corps enseignant vaudois et des milieux concernés (Association des parents d’élèves – APE et la Haute école pédagogique – HEP) un projet de grille horaire qui réduit fortement – une fois de plus ! – la place des arts visuels, au profit du français, des langues et des maths.

En réponse à ce projet plus administratif qu’éducatif, l’EAV (Enseignants Arts Visuels) a publié un manifeste qu’il invite à signer sur son site internet afin de permettre aux élèves de ne pas perdre, de ce fait, l’apprentissage et l’utilisation d’une des grandes formes de la pensée. Parce que la pensée passe aussi par l’image.

– Dites, Mam’, Pap’, mon prof m’a dit que je pouvais parler par images. Ça, c’est bien, et en plus il n’y a pas de voc à apprendre !