Après la danse

Numéro 36 – Décembre 2012

Dans l’imaginaire collectif, la danse est souvent représentée par la ballerine toute en grâce et en légèreté. Rares sont pourtant les personnes qui connaissent la réalité du métier de danseur car, oui, la danse est un métier. Son statut n’est par ailleurs officiel en Suisse que depuis 2009, date à laquelle la Confédération a reconnu la profession de danseur.

Contrairement à la plupart des métiers, celui de la danse requiert un engagement précoce de la part du jeune danseur. Il doit débuter la danse très tôt et avoir une pratique assidue et régulière. Les compétences acquises avec les années lui permettront d’entrer ensuite dans une école professionnelle, exigeant une expérience et une technique préalables à son cursus. Après une longue formation, le danseur se lancera dans une carrière où prônent l’excellence ainsi que la force morale : il n’aura de cesse d’entraîner son corps et sa créativité afin de répondre aux exigences chorégraphiques.

Malgré les efforts nécessaires pour accéder au statut de danseur professionnel, et même si la situation s’améliore, ce métier reste encore précaire. Bien que les compagnies soient maintenant tenues de payer les cotisations sociales des danseurs et que certaines offrent un salaire mensuel brut de 5’000 chf, la plupart des contrats sont à durée déterminée (de quelques semaines à une saison). L’association suisse des professionnels de la danse, Danse Suisse, préconise par ailleurs un salaire mensuel minimum de 4’000 chf, ce qui démontre que la question salariale reste un point sensible. Ce métier exige de surcroît une grande disponibilité et mobilité de la part du danseur qui, soit est en tournée, soit doit auditionner pour décrocher des contrats, sans se préoccuper des frontières. Bien que cela puisse paraître stimulant au premier abord, le danseur doit concilier ces déplacements avec une recherche constante de nouveaux contrats ainsi qu’avec une vie personnelle. Il doit de plus assumer seul le coût de ses recherches.

Rares sont pourtant les personnes qui connaissent la réalité du métier de danseur car, oui, la danse est un métier.

Être danseur a pour particularité supplémentaire que l’exercice de ce métier est relativement court. Le danseur se consacre pendant environ dix ans à la formation d’une profession qu’il ne pratique ensuite qu’une quinzaine d’années. Bien qu’il existe des exceptions, notamment dans la danse contemporaine, où les danseurs sont actifs plus longtemps, rares sont ceux qui pratiquent jusqu’à l’âge institutionnalisé de la retraite. En d’autres termes, la danse requiert une formation aussi longue que la durée de la carrière est brève.

Les causes de la reconversion sont multiples, mais aussi souvent liées entre elles. Pour commencer, la danse est l’une des disciplines artistiques les plus physiques qui soit. Le travail quotidien du corps a un coût. L’usure se fait ressentir après un certain nombre d’années et le corps se fragilise. Dans certains cas, une blessure peut survenir rendant la pratique du métier de danseur dorénavant impossible. La difficulté à trouver des contrats, la précarité, un besoin de stabilité ou encore la volonté de fonder une famille contribuent également au besoin du danseur de se reconvertir.

La reconversion du danseur marque ainsi le passage du métier d’interprète à un autre et se fait généralement autour de 35 ans. À un âge où la plupart des professionnels sont dans la phase de développement de leur carrière, le danseur doit quant à lui réfléchir à quelle direction prendra sa nouvelle vie et comment se donner les moyens pour y arriver. La reconversion est un moment délicat car le danseur éprouve souvent de grandes difficultés à définir ses compétences hors du champ chorégraphique et craint à tort « de ne savoir rien faire d’autre que danser ».

Pour qu’elle se fasse dans de bonnes conditions, la transition de carrière doit être réflé­chie de manière anticipée. La défini­tion de la nouvelle orientation professionnelle et la mise en place d’une stratégie pour la réaliser prennent du temps et exigent des ressources qui doivent elles aussi être trouvées. Par son implication dans son métier, le manque de temps à disposition durant sa carrière et les changements géographiques récurrents, il est souvent difficile pour le danseur de trouver la disponibilité nécessaire pour amorcer une réflexion en amont sur sa vie après la scène. La question financière est également délicate dans la reconversion, le danseur n’ayant pas eu les moyens de faire des économies. Ce moment charnière est doublement inconfortable pour le danseur qui perd d’une part son travail et sa source de revenus, mais aussi son identité de danseur qu’il a construite pendant de nombreuses années.

À un âge où la plupart des professionnels sont dans la phase de développement de leur carrière, le danseur doit quant à lui réfléchir à quelle direction prendra sa nouvelle vie.

En Suisse romande, l’Association pour la reconversion des danseurs professionnels (RDP)[1] a été créée en 1993 dans l’objectif d’aider les danseurs à réussir leur reconversion professionnelle grâce à la mise en œuvre d’un nouveau projet professionnel lucratif et épanouissant. En plus de les sensibiliser aux spécificités de leur métier, la RDP les accompagne tout au long de leur carrière en leur offrant différentes prestations telles que des entretiens de conseil, du coaching ou encore des ateliers. Les bourses d’études que délivre la RDP, notamment grâce à la Fondation Fernando et Rose Inverni-Desarzens, sont à ce jour la prestation la plus importante de l’association. Délivrées après examen d’un dossier, ces bourses couvrent tout ou partie des frais de scolarité ainsi que, dans certains cas, les frais de subsistance du danseur. La RDP a ainsi pu constater que l’ambition des danseurs se développe en concordance avec les moyens qu’ils ont à leur disposition. C’est ainsi que nombreux sont ceux qui entreprennent dorénavant des études universitaires à plein temps.

La précocité de la fin de carrière du danseur implique que sa reconversion doit être considérée comme faisant partie inhérente de son métier. La RDP est active au sein d’un réseau spécialisé dans la question de la reconversion : l’Organisation Internationale pour la Reconversion des Danseurs Professionnels (IOTPD)[2]. En plus du soutien prodigué, l’expérience accumulée par ces organismes permet de mettre en valeur les qualités et compétences transférables acquises par le danseur au long de sa carrière scénique : discipline, rigueur, gestion du temps, persévérance, endurance physique et mentale, précision, résistance au stress, travail d’équipe, etc. Ces qualités sont hautement valorisées par les employeurs et sont autant d’atouts que le danseur peut mettre en avant lors de la définition de son projet de reconversion, mais aussi lors de sa recherche d’emploi.

La précocité de la fin de carrière du danseur implique que sa reconversion doit être considérée comme faisant partie inhérente de son métier.

Pendant longtemps, la question de la brièveté de la carrière du danseur n’a pas été abordée. En effet, l’existence d’une vie en dehors et donc après la danse était taboue. Comme la danse exige un engagement fort, le risque de démotivation était mis en avant pour ne pas traiter cette problématique ouvertement. Les organisations d’aide à la reconversion ont beaucoup travaillé à la légitimation de cette question, telles que le prouvent leurs collaborations avec des écoles de formation professionnelle, des compagnies de danse et des pouvoirs publics. Ces rapprochements peuvent sembler aller de soi, mais ils impliquent que la question de la fin de carrière soit traitée au moment où les danseurs sont encore actifs, sur scène ou en formation, et non plus seulement au moment où la carrière prend fin. Pour que les danseurs puissent mieux appréhender la globalité de leur carrière, celle de la danse et celle d’après, il faut encore que le métier de danseur soit considéré avec ses spécificités, dont celle de sa brièveté. Les différentes organisations de soutien à la transition des danseurs œuvrent encore à ce que les danseurs puissent mieux s’intégrer sur le marché du travail après leur carrière scénique. Leur cause progresse, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire pour que le métier de danseur soit reconnu à sa juste valeur.

Statistiques 2009-2011

La RDP a offert ses services à près de
200 professionnels de la danse
Elle a financé 
14 bourses

pour un montant total de
267’000 CHF
Les études suivies par les boursiers de la RDP sont extrêmement diversifiées. Voici quelques exemples de formations suivies dans les 3 dernières années :

  • master en actuariat
  • MBA en International Organizations
  • bachelor en International Communication Management
  • master en pédagogie de la danse
  • diplôme en gestion culturelle
  • diplôme de formation continue en techniques de la communication écrite 

[#1] Site web de la RDP : www.dance-transition.ch Ancienne danseuse et chorégraphe professionnelle, titulaire d’un bachelor Dance Theatre du Laban Centre de Londres, Sarah Guillermin est, depuis 2012, secrétaire générale de la RDP. Elle a été notamment administratrice de compagnie et coordinatrice artistique pour le Prix de Lausanne. Elle a opéré la mise en œuvre de la formation CFC/MPA danseur interprète orientation contemporaine à Genève en tant que cheffe de projet, en a été la doyenne, et y travaille toujours comme chargée de projet.

[#2] Site web de l’IOTPD : www.iotpd.org – International Organization for the Transition of Professional Dancers.