Édito n°36, décembre 2012 – Et bien dansons maintenant !

Numéro 36 – Décembre 2012

Ce n’est qu’en septembre 2011 que Genève a mis en place une formation de danse contemporaine, soit près d’un siècle après qu’Igor Stravinsky ait écrit le Sacre du Printemps (1913) pour les Ballets Russes. Combien de temps aura-t-il fallu à nos autorités culturelles pour dépasser ces tabous « religieux » qui ont souvent considéré la danse comme trop porteuse de sensualité et d’érotisme pour pouvoir être admise comme une profession sérieuse ? Jusqu’ici nos danseurs contemporains étaient plus ou moins des ovnis dans le monde de l’art, déjà fragilisés par leur expression qui, parce que développée dans le temps, ne laisse que peu de traces au contraire de la littérature, de la peinture, de la sculpture ou de l’architecture. Mais également précarisés par une profession dont la durée dépasse rarement l’âge de 35 ans, comme les tennismen, pour des questions de forme physique.


Être danseur professionnel en Suisse, c’est travailler sous contrats à durée déterminée pour une ou plusieurs compagnies en même temps, dans de nombreuses villes et souvent plusieurs pays. C’est passer par d’inévitables périodes de chômage tout en continuant à financer des entraînements quotidiens pour rester concurrentiel sur le marché du travail. C’est aussi rechercher en permanence des activités au niveau international et en assumer la charge financière, sachant que le salaire dépassera rarement les 3’000 chf par mois.

Et que deviendra le danseur lorsque son corps ne lui permettra plus d’accomplir les performances de son art, après 10 années de formation et seulement quelque 15 ans de pratique ? En Suisse romande, l’Association pour la Reconversion des Danseurs Professionnels (RDP) s’est donnée pour objectif d’aider les danseurs à trouver de nouveaux projets professionnels.

CultureEnJeu a assisté à une réunion de la RDP, organisée par Selina von Schack et Sarah Guillermin, à laquelle participaient neuf danseurs et danseuses venus parler de leur vécu, de leurs attentes, de la fatigue du corps qui arrive avec l’âge, des difficultés à surmonter quand vient le moment de se recycler. Un Français, un Belge, un Espagnol, un Italien, un Colombien et quatre Suisses romands, de 22 à 48 ans. Les plus jeunes sont venus s’informer sur les pistes possibles d’un changement d’orientation tout en essayant de ne pas trop penser à l’inévitable échéance. D’autres plus âgés ont déjà choisi l’enseignement ou la chorégraphie. L’un d’entre eux est devenu thérapeute pour soigner les personnes âgées à travers son art et le corps. Une autre encore, suite à des problèmes physiques, s’est armée d’un CFC de cuisinier, mais aimerait retrouver la danse par le biais de l’enseignement… Que d’expériences vécues en solitaire dans ces parcours d’artistes !

Le CFC de danseur contemporain et le bachelor – actuellement à l’étude pour 2013 – donneront  finalement à ces diplômés la reconnaissance de la valeur de leur activité. Dans un second temps, ils auront davantage de possibilités de recyclage dans l’enseignement et un niveau de vie moins sujet à la précarité actuelle.

Quelle tristesse et quel malheur si un jour les papillons et les abeilles disparaissaient de notre univers ! Laissons que les danseurs « pollinisent » nos vies et rendent plus léger notre quotidien en nous révélant nos propres ailes. Et bien dansons maintenant !