Édito n°52, décembre 2016

Numéro 52 – Décembre 2016

Dans l’Antiquité, croyants, athées et agnostiques voyaient déjà leurs choix acceptés dans la mesure où ils respectaient le culte des ancêtres et les règles de la polis ou de l’Urbs. Les Romains avaient leurs propres dieux mais, quand ils occupaient une contrée, ils laissaient les peuples assujettis libres de célébrer leurs croyances dans la mesure où celles-ci ne troublaient pas l’ordre public.


Plus tard, au début de notre ère, deux des trois religions monothéistes ont imposé leurs pensées théologiques, le christianisme pendant 14 siècles et l’islam pendant 12 siècles. Chacune revendiquant une théocratie universelle devenue le ciment même de toute vie publique et privée. Une volonté intransigeante d’imposer au nom de Dieu, d’Allah ou de Yahvé une seule vérité, la sienne, en excluant l’Autre. « Hors de l’Église point de salut ».

Au XVIe siècle, la Réforme protestante va porter chez les chrétiens un premier coup à cette gestion de droit divin établie par le Vatican. Ce seront les penseurs du siècle des Lumières suivis par les acteurs de la Révolution française qui prôneront, peu après une période de terreur et de fanatisme anticlérical, une séparation très nette entre pouvoirs temporels et spirituels. Un début de sécularisation de la société dont un des buts, dans un esprit de « Liberté de conscience, Égalité des droits et Fraternité selon la déclaration des droits de l’homme », était d’en finir avec ces guerres entre protestants et catholiques.

Napoléon, tout en maintenant cette séparation des pouvoirs (comme Poutine aujourd’hui en Russie), se rendait parfaitement compte qu’il lui fallait une paix intérieure afin de pouvoir développer ses ambitions de conquêtes hors des frontières. Pour calmer les catholiques, il signa avec le Vatican le concordat de 1801 ; aux protestants il accorda la liberté de culte et aux juifs vivant en France, la nationalité. Mais il rappelait régulièrement et fermement au Pape Pie VII que l’Empereur c’était lui et qu’il ne lui reconnaissait qu’un pouvoir spirituel. Nous n’étions pas encore dans un État laïque, mais dans une situation où le pouvoir séculier cherchait à être indépendant de l’influence des Églises. Tout en utilisant les forces vives des courants religieux à des fins politiques.

Un siècle plus tard, la Turquie donnait à son tour un grand exemple de construction d’un État laïque inspiré de la Révolution française. Suite à ses victoires contre les forces alliées qui occupaient la Turquie avec le placet du Sultan-Calife Mehmed VI, le général Mustafa Kemal, à travers la Grande Assemblée nationale, abolit la monarchie en 1922 afin de séparer officiellement le sultanat (pouvoir politique) du califat (pouvoir religieux). La laïcité fut aussitôt inscrite dans la Constitution turque et le droit de vote donné aux femmes.

Le long cheminement vers l’établissement d’un État laïque, qui ait une position neutre vis-à-vis des différentes expressions religieuses, n’est vraiment pas un acquis. Nombreux étaient les pays occidentaux qui préconisaient encore il y a quelques décennies une religion d’État.  L’anglicanisme en Angleterre, le protestantisme luthérien dans les pays scandinaves, l’église orthodoxe en Grèce, le catholicisme en Irlande, en Espagne ou en Italie. Le grand balancier de l’histoire va et vient entraînant souvent des retours inattendus. La Turquie d’aujourd’hui en est un exemple. Si de nos jours catholiques et protestants arrivent à vivre ensemble pacifiquement, ce n’est certainement pas encore le cas des sunnites et des chiites. Si les républiques françaises et allemandes sont laïques et respectueuses des différentes expressions religieuses, ce n’est pas le cas de la République islamique d’Iran ni celui du Royaume d’Arabie saoudite. Quant à l’État démocratique d’Israël, il n’a pas fini de jongler entre les différents courants de sa population dont une partie voudrait faire du pays une nation juive réunissant sous une même entité judéité et judaïsme.

La quête d’une laïcité ferment de paix a encore un long chemin devant elle.