Suzanne Auber, dans les profondeurs du bleu cerise

Numéro 58 – Avril 2018

La parole au spectateur

Quand on se trouve devant une toile de Suzanne Auber on est emporté inévitablement comme dans les envolées lyriques des personnages de Chagall, hypnotisé comme devant le vitrail d’une passion de Georges Rouault, aspiré et troublé comme à l’intérieur d’un univers kokoschkaïen.

Prisonnier, projeté dans un monde qui, petit à petit, peut se réveiller en nous et nous emmener dans une autre dimension, vers une autre réalité très loin et en même temps très près des profondeurs de soi-même. Une traversée de jungle en furie peuplée de monstres insaisissables, éclairée cependant parfois des bienfaits d’une grande chaleur, bousculée par l’explosion des rouges « évermeillés », des noirs de plomb ténébreux, des jaunes de blés mûrs, des bleu cerise profonds d’équilibre et de ténacité, des vert émeraude frais et pacifiant.

La peinture de Suzanne Auber n’est apparemment pas figurative et pourtant. Qui sait s’attarder sur ses toiles peut y retrouver, au-delà de la déconstruction des formes, l’origine de sentiments et d’émotions bien réels et bien formels. Comme le retour de l’enfant dans un état « préfoetal » où tout existe déjà... où tout est déjà là... tout est déjà dit !

Un combat avec l’ange sur les bords d’un précipice. On ne parcourt pas une toile d’Auber, on s’y immerge, on y plonge, on s’y perd aussi.

La parole à la peintre

« Je suis le chef d’orchestre de ma vie, comme de ma peinture. J’abandonne une toile quand elle est sur le point de basculer, limite art brut (...)

Rechercher la perfection est éprouvant. D’ailleurs, la trouve-t-on jamais ? Le tumulte de ma peinture n’est pas voulu ; il sort de mes entrailles, jaillit de mon enfance comme la lave d’un volcan. Tous les artistes ont une source d’inspiration à leurs débuts, l’essentiel est de savoir s’en dégager. Chaque toile est un conflit qui déstabilise. L’artiste mène une sorte de guerre permanente contre cette œuvre qui lui échappe, provoque colères, révoltes, abattement et doute. C’est ainsi que l’on avance.

La peinture m’accompagne au quotidien. Dans des instants parfois irréels et le plus souvent difficiles, qui peuvent être suivis de la destruction du tableau d’un coup de pinceau ravageur ! Ma peinture n’est pas abstraite, j’aime à dire qu’elle est « fractale ». Je n’ai pas inventé ce mot. Je me le suis approprié en toute bonne foi et je pense qu’il colle à mes toiles comme une deuxième peau. Dans « fractal », j’entends « fragment », « fracturé » peut-être « fatal » et j’imagine une évidence sortie du chaos... »

La parole à la peintre-poète

Suzanne Auber a donné des titres à ses œuvres. Elle leur a ainsi donné à chacune une vie propre. Je me suis permis de rassembler ces « nominations » sans ordre chronologique, par affinité élective, comme on rassemble pêle-mêle les membres d’une famille très nombreuse à ’occasion d’une grande fête ou d’un anniversaire important.

« Vous. J’ai rendez-vous avec vous. Et que ça saute.

Touch Me. Bad boy. Not Guilty. Nobody is perfect.

Les comptes de la mère l’oye. Les comptes du chat botté. Les comptes de la Bâtiaz. Tous comptes faits. Le beau menace. Pouce noir impair et passe. Mourir étonnée.

Anémone de mère. Moi Lucy de la mère morte. Maman merci. Si tu veux après on ra regarder les trains.

Bonjour l’angoisse. Plein les mains. Le pataquès multicolore. Le stress de la fleur. Elle a l’orage dans l’œil. Le soupir des tourterelles. Le ciel gris broie du noir. Même les arbres sont en deuil. Ils font pleurer les étoiles.

Perdu de vue. Une vague scélérate. Embargo sur les larmes. La tristesse n’a pas de conversation. Quand ça va bien, ça va mieux. Elle ne pleure pas, elle chante. C’est son jour de sortie. »

Tous ces mots comme une invitation à vous lecteurs pour vous donner l’envie d’aller un jour, peut-être, découvrir les toiles de l’artiste et de vous y plonger pour votre plus grand plaisir.