De la Fondation de l'Hermitage au TKM en passant par BDFIL, dialogues d'un art à l'autre
Mettre l’ombre en lumière: quel bel enjeu artistique! Sur les hauteurs de Lausanne, la Fondation de l’Hermitage vient de réussir une série de ricochets d’un art à l’autre, qui donne quelques idées.
Dans la récente exposition Ombres de la Renaissance à nos jours, l’un des tableaux accrochés à proximité de représentations plus explicites de l’allégorie platonicienne de la caverne – une grotte éminemment matricielle peinte à la fin du XVIIIe siècle par Joseph Wright of Derby – a impressionné le dessinateur Baladi. Il s’en est inspiré pour une planche, dense et forte, de sa récente version en bande dessinée du Robinson suisse de Wyss, dans la version qu’avait poursuivie et romancée Isabelle de Montolieu, à Lausanne (grand succès éditorial parisien des années 1820). Dessinateur longtemps installé à Genève, résidant actuellement à Berlin, Baladi était l’invité d’honneur du Festival BDFIL 2019. À cette occasion, par l’entremise de la directrice de l’Hermitage Sylvie Wuhrmann, il a retrouvé et collaboré avec Omar Porras, un de ses amis du temps des squats genevois des années 1990 et devenu entre-temps directeur du Théâtre Kléber-Méleau. À la fois animation et médiation, un court spectacle d’une demi-heure en est issu. Intitulé La Voix de l’ombre, il a été mis en scène par Porras, d’après Platon, joué par la comédienne Emmanuelle Ricci, avec dessins et bande dessinée de Baladi. Pour sa mise en œuvre, il a bénéficié du soutien technique des équipes de l’Hermitage et de Kléber-Méleau. Sur cette opération, se sont trouvés réunis le théâtre et la peinture, le dessin et le jeu, sons, ombres et lumières pour une mise en espace philosophique. Cet «à-côté» de luxe d’une déjà fort prestigieuse exposition a donc offert aux spectateurs qui se sont aventurés dans cette proposition intermédiale une occasion très agréable de découvertes.
Nul n’ignore que tous les musées, aujourd’hui, multiplient les opérations de médiation et collaborent volontiers avec les arts du spectacle vivant.
Cette « lecture imagée» présentée dans une dépendance de l’Hermitage n’est donc qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Elle suggère néanmoins quelques perspectives intéressantes, comme la piste toujours fructueuse – pour réduire la distance entre artistes et public – de faire suivre la trace du réinvestissement et de la revitalisation d’une forme préexistante. Ici, la sortie de la grotte. L’emprunt et le détournement y participent au moins autant que l’inspiration. De telles accroches proposent au public des possibilités de mieux approcher les œuvres et de s’en souvenir.
La médiation artistique prise en charge par les artistes eux-mêmes procure d’heureux relais. Elle revient à donner aux créatifs les moyens de relever – avec leurs propres outils – quelques-uns des principaux défis qui leurs sont posés. Celui du renouvellement en particulier, tout à la fois de leurs publics en croisant ceux des divers arts impliqués, et de la nourriture de leur recherche, par l’échange des pratiques, auprès de bonnes adresses, parfois toutes proches. Cela permet d’engager et de partager des réflexions, se répercutant différemment dans d’autres milieux de la culture.
Dans la sombre caverne aux illusions et devant les perspectives fuligineuses promises à la création théâtrale, cette expérience collaborative n’est sans doute pas la seule voie, mais elle apparaît bien comme une ouverture.