La laïcité, pourquoi ?

Numéro 52 – Décembre 2016

Fondé le 13 mai 2016 à Lausanne, le Réseau laïque romand entend propager la laïcité pour tenir l’offre religieuse hors de la sphère étatique.

Un noyau formé par une dizaine de personnes a lancé à Lausanne – ville de la soussignée, qui fait partie de ce groupe – un Réseau laïque romand destiné à expliquer et propager la laïcité dans un contexte criant où elle est menacée (Genève et Neuchâtel), ou tout simplement ignorée (Vaud, par exemple). La page Facebook du groupe compte déjà plus de deux cent membres.

Pourquoi maintenant ? « Depuis novembre 2015, les attentats au Bataclan, sur les terrasses d’un quartier multiculturel à Paris, puis dans le métro bruxellois ont bien montré que l’ennemi des djihadistes fondamentalistes se trouve partout. La personne humaine n’a aucune valeur s’il s’agit de punir des États, des dirigeants, des géopolitiques qui vont à l’encontre d’un projet totalitaire comme celui qui est déployé par Daesh et porté par des groupuscules terroristes d’obédience islamiste », explique Yves Scheller. D’emblée dans le vif du sujet, cet enseignant genevois est un combattant de longue date de la laïcité dans son canton et s’oppose en ce moment à un projet de loi privilégié par le Conseiller d’État Pierre Maudet, visant une forme de reconnaissance du rôle social des religions. Lesquelles ? C’est justement l’un des problèmes puisqu’il faudra lister des critères, au risque de discriminer certains des 419 groupes religieux répertoriés à Genève.

C’est le cadre étatique qui est visé par la laïcité, non la société.

La législation vaudoise prévoit la possibilité de reconnaître d’autres communautés religieuses, sachant que ce canton reconnaît les principales églises chrétiennes comme corporations de droit public et la communauté israélite comme corporation d’intérêt public (petite reconnaissance). Un dialogue est mené avec l’islam mais la grande diversité de cette « communauté » rend l’identification d’un interlocuteur difficile. La constitution cantonale prévoit des critères qui ne facilitent pas la concrétisation du principe de reconnaissance. D’une manière générale, en Suisse, la situation paraît bloquée et ne permet pas d’entrevoir la réalisation d’une reconnaissance d’autres communautés religieuses.

Des tensions peuvent émerger, auxquelles il faudra répondre, mais jusqu’où aller se demandent les membres du Réseau laïque romand, très bien informés par leurs homologues canadiens sur la progression des accommodements québécois ? Dans ce pays, il n’est pas rare de se retrouver au tribunal pour un prétendu blasphème, comme en témoigne l’écrivain Djemila Benhabib. La collusion du parti libéral du premier ministre Justin Trudeau avec les fondamentalistes québécois est notoire ; elle repose sur un clientélisme électoral qui avance sous les couleurs sympathiques du multiculturalisme. Qu’importe alors s’il faut fermer les yeux sur les prédications virulentes, sur une morale d’un autre temps enseignée aux enfants ou sur le fait que cette idéologie qui prône une stricte séparation des sexes heurte de plein fouet la visée égalitaire à l’œuvre dans la société occidentale au fil d’un long combat mené par les femmes, notamment ?

Le Réseau laïque romand estime que la Suisse ne sera pas longtemps épargnée. Plusieurs exemples récents en témoignent. Les mêmes problèmes se posent et se poseront à tous les cantons. C’est pourquoi la laïcité offre à chaque représentant de l’État, quel que soit son niveau de responsabilité, un moyen efficace de répondre clairement – et non dans une solitude génératrice de souffrance – aux attentes, revendications et provocations qui ne manqueront pas de s’affirmer. Les membres et amis du Réseau s’expriment régulièrement sur Facebook ; leur manifeste est posté sur le site reseaulaiqueromand.ch et ils sont à la disposition des collectivités et de toute personne intéressée par la laïcité. Il ne s’agit pas d’exclure toutes les expressions publiques de la religion, qui restent libres tant qu’elles ne contreviennent pas aux autres lois. C’est le cadre étatique qui est visé par la laïcité, non la société. Une question se pose : un tel projet va-t-il à contrecourant dans un contexte fédéral très diversifié et un cadre historico-politique posé de longue date pour gérer dans un dialogue constant, voire dans la connivence, les relations entre la politique et la religion ? Le Réseau laïque romand fait le pari inverse : la Suisse contemporaine qui regarde vers l’avant ne pourra pas se passer de la laïcité.