Édito n°47, septembre 2015
Le premier verset de l’Ancien Testament débute par ces paroles : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vague et vide », en hébreu tohu-ve-bohu, soit le grand chaos original.
Beaucoup plus tard, vraiment beaucoup plus tard après ce moment des origines, décrit poétiquement dans la Bible, apparaissent, sur cette terre devenue un peu plus accueillante, des mammifères et parmi eux des êtres humains désignés sous l’appellation d’homo sapiens.
On est encore dans un monde sans religion, ni culture. Mais relativement vite, toute proportion gardée, ce mammifère, confronté aux mystères et aux grandes inconnues de la nature qui l’entoure et dont il fait partie, essaie d’apprivoiser, de « capturer », de contrôler cet environnement dont il ne voit que les conséquences sans en connaître les origines ni le « sens », s’il y en a un.
Devant la mort et l’après-mort, les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, les inondations et les marées, le tonnerre et les éclairs, le feu et la sécheresse, le jour et la nuit, le soleil et la lune… les êtres humains font en quelque sorte acte de soumission à ces forces hors de leur contrôle en essayant de les amadouer. Ils le font en créant des rites, des cérémonies, des représentations, en érigeant des lieux sacrés à leur intention, en leur inventant une histoire, en leur donnant des noms, en affinant au cours des siècles – à mesure que leurs connaissances du monde évoluent – leur manière de proposer des réponses aux questions les plus angoissantes. Pour donner une visibilité à cette « dimension inconnue » et marquer concrètement de façon durable le respect qu’elle lui voue, chaque peuplade a utilisé ses meilleures et plus belles formes d’expression, les plus beaux matériaux en sa possession dans le but de se rassembler autour d’une entité fédératrice qui calme ces oppressions existentielles, qui libère de la peur de la mort, qui donne un sens à une existence dont le destin reste flou voire insaisissable. Une meilleure manière de vivre ensemble, sans chercher toujours à s’entretuer.
Culte et culture se sont ainsi retrouvés unis pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur quand ils avaient comme objectif commun le mieux vivre ensemble, chacun s’exprimant selon le bagage culturel propre à son vécu, pour le pire quand la tradition du culte des dieux ou de l’Être suprême était accaparé par certains pour asservir sans vergogne des populations entières à leurs propres intérêts.
Et encore aujourd’hui, au XXIe siècle, malgré tout le capital technique et culturel accumulé depuis près de neuf millénaires, des femmes et des hommes continuent à subir ces aberrations de l’esprit quand des chefs de guerre se mettent en tête d’occuper des territoires et d’imposer aux peuples assujettis une vision religieuse complètement sortie de son contexte historique, transformée en un fanatisme mortifère. L’espèce humaine est-elle condamnée pour toujours à ne jamais arriver à dépasser ces moments de folie ? À ne jamais évoluer ?