L’Art dans la Ville

Numéro 38 – Juin 2013

Quand un touriste visite Rome et va à la recherche de la fontaine de Trevi, il parcourt un dédale de ruelles avant de découvrir, ébloui, au détour de l’une d’elles, cette gigantesque œuvre baroque qui surgit à l’improviste là où il ne l’attend pas. Cette volonté du XVIIe et du XVIIIe siècle de créer ainsi la surprise par des œuvres imposantes presque dissimulées qui ponctuaient alors la vie urbaine en demeures patriciennes et en églises (marque de pouvoir) ou en fontaines et places ombragées (au service de la population) va toujours survivre au XXe siècle qui mettra peut-être davantage en évidence le côté mercantile et politique de l’art dans la ville.

Les pouvoirs officiels civil ou religieux ont de tout temps, et dans toutes les cultures, utilisé les œuvres d’art pour affirmer leur propre gloire et laisser des traces de leur règne sous des prétextes plus ou moins nobles.

Mussolini, par exemple, ayant décidé de donner de la visibilité à la grandeur de l’Italie, rasa, en 1924, le quartier Alessandrino, à Rome, pour ouvrir la via dei Fori Imperiali (1932) qui allait relier le Colisée (symbole de l’empire romain) à Piazza Venezia (centre de l’empire fasciste). Dans ce cas précis, la cité ne s’est pas enrichie de nouvelles créations, mais a bénéficié uniquement d’une mise en valeur différente d’œuvres d’art préexistantes.

Au cours de cette même période, et toujours dans le même objectif propagandiste de glori­fier l’ère fasciste, Mussolini va à nouveau laisser sa trace en faisant construire, au Sud de Rome, le quartier de l’EUR en vue de l’Exposition Universelle prévue en 1942. Plus qu’un quartier, il a créé une petite ville ex nihilo, permettant à de nouvelles tendances architecturales et artistiques de se réaliser pour le meilleur et pour le pire. Mais cette partie moderne de Rome restera davantage un quartier d’affaires et de loisirs plutôt qu’un véritable bourg romain.

On se trouve dans une situation un peu semblable, mais bien plus captivante, lorsque le président brésilien Juscelino Kubitschek crée, en 1960, au milieu de nulle part, Brasilia, une nouvelle capitale, afin d’inciter les populations à occuper le centre des terres. Il fit appel aux architectes brésiliens Oscar Niemeyer et Lucio Costa qui, s’inspirant de la vision du Corbusier et rompant avec toutes les conventions, firent de cette ville un véritable chef-d’œuvre d’architecture moderne. Une réussite qui, dès 1987, sera inscrite par l’UNESCO dans le Patrimoine mondial de l’humanité.

Mais qu’en est-il aujourd’hui de ces grands projets qui mettent l’Art dans la ville à la disposition de tous ?

À Paris, la mise en chantier par le président Georges Pompidou d’un musée d’art moderne, le Centre Beaubourg, inauguré en 1977, avait provoqué au départ l’indignation de la population devant cette construction inattendue que ses détracteurs appelèrent « Notre-Dame de la Tuyauterie ». Mais très vite l’éclat de cette œuvre insolite des architectes italiens Renzo Piano, Richard Rogers et Gianfranco Franchini, et la qualité des expositions et des manifestations que le Centre proposa au public stimulèrent tellement l’imagination et la curiosité des citadins que six millions de visiteurs fréquentèrent le musée et ses activités en 2011.

Le président François Mitterand prit moins de risques, même s’il provoqua des hauts cris, quand il commanda en 1983 à l’architecte sino-américain Leoh Ming Pei cinq pyramides en verre et métal pour les intégrer dans la cour du Louvre. Il reprenait ainsi le vieux projet d’une pyramide qui aurait dû être construite à cet endroit en honneur de Napoléon, quelques années après sa campagne d’Égypte. Création ici d’une construction, qui n’a d’autre but que d’épater le badaud, partagée entre un hommage à un empereur lointain et le choix d’un président républicain qui se rêvait en Roi Soleil !

Dans cette petite liste d’œuvres d’art marquantes dans la cité, on ne saurait oublier le musée Guggenheim de Bilbao, ouvert au public depuis 1997. L’architecte américo-canadien Frank Gehry a utilisé pierre, titane, verre et eau pour donner à ce musée l’élégance d’une sculpture aux allures d’un fier destroyer ou à la puissance d’un redoutable prédateur préhistorique.

Enthousiasmant certains, laissant de marbre d’autres, devenu symbole de la ville de Bilbao comme peut l’être la tour Eiffel de Paris ou le Big Ben de Londres, cette œuvre exubérante et démesurée ne remplit-elle pas le rôle de l’art qui est parfois de provoquer, souvent de questionner, en tout cas celui de nous sortir des lieux communs et des conventions pour nous émerveiller ?