Arts et Médias, même combat au service du public
Toute communauté humaine a besoin de se connaître, de se reconnaître, et pour cela d’exprimer ses visions du monde, ajustées et renouvelées en permanence, dans le contexte historique qui est le sien, dans les limites évolutives mais malgré tout étroites des conceptions acceptables par cette communauté. Ainsi, bien que la plupart des pays baignent aujourd’hui dans les processus unificateurs de la mondialisation économique depuis un quart de siècle et de la domination idéologique écrasante des modèles nord américains depuis septante ans, les divergences d’un État à l’autre restent considérables et la diversité s’accroît même encore dans certains domaines. L’uniformisation n’est pas irrémédiable tant qu’un peu de maîtrise des processus de création et d’information, d’explication du monde et de divertissement restent offerts à la communauté selon ses propres normes. Une communauté politico-administrative et économique existe fondamentalement pour autant que sur le plan symbolique elle parvienne à s’exprimer, qu’elle reste capable de se donner les moyens artistiques et médiatiques de la refléter, de l’enrichir et de la faire réfléchir sur le monde comme sur elle-même. Elle doit conserver des arts et des médias libres et critiques, c’est-à-dire qui ne soient pas soumis au seul pouvoir de l’argent-roi.
Il est surtout essentiel d’avoir part à la production culturelle comme d’informations sur l’état du monde, afin de rester son propre sujet et non de devenir celui de quelqu’un d’autre. Or l’initiative contre Billag et la SSR pousse la Suisse à dépendre de plus en plus de grands groupes de presse, ceux agissant pour l’heure au profit de l’UDC et du PLR, et qui bientôt seront remplacés par ceux opérant dans les plus vastes entités politiques voisines. Le processus de rachat par les grands groupes étrangers suivant une « libéralisation » s’est observé souvent. Ce fut déjà le cas au XIXe siècle par exemple, lors des premières lignes de chemin de fer et il coûta ensuite particulièrement cher au peuple suisse de racheter cette erreur économique. On l’a vu encore au début des années 2000 avec l’attribution des casinos suisses, bientôt tous tombés dans l’escarcelle de deux grands groupes français.
Que deviendront les Suisses avec des médias centralisés ou des arts désormais fournis uniquement par les grandes capitales voisines ? Pourraient-ils être conduits vers autre chose qu’une marginalisation, n’ayant bientôt plus d’autres valeurs ni visions que celles des grands voisins ? Car il ne faut pas attendre des autres qu’ils vous reconnaissent réellement à votre place. Si un pays renonce à fournir arts et médias de services publics, alors il se nie purement et simplement en tant que communauté de destins et il est prêt de disparaître. Lorsqu’ils dépendent de soutiens privés, les arts eux aussi, aseptisent leurs discours. Arts et médias en ce sens ont bien des points communs. Arts comme médias inventent (parfois), produisent ou créent des « contenus » spécifiquement adressés à leur public. Les lieux, les organismes qui diffusent arts ou médias se trouvent devant la même alternative : soit la voie de la facilité de reprendre des contenus déjà faits (souvent moins chers) soit de tenter le toujours périlleux exercice de la création, qu’il faut désormais en plus défendre et promouvoir, mais qui est la seule façon de pouvoir « exprimer un pays et ses gens » selon la formule ramuzienne. C’est pourquoi les dirigeants des radios et télévisions de services publics de ce pays devraient aussi être très clairs dans leur volonté d’augmenter la part de la création artistique diffusée sur les ondes publiques, avec le souci de rester proche de leur mission, qui ne peut exister qu’avec le soutien de leur public.
Si un pays renonce à fournir arts et médias de services publics, alors il se nie en tant que communauté de destins et il est prêt de disparaître.
Aujourd’hui, l’attaque en règle contre l’organisme de perception Billag occulte tout le travail de répartition accompli en faveur des minorités linguistiques et donc de la cohésion nationale, sans parler de l’existence même de ces chaînes qui permettent aux gens de ce pays de se rappeler leur appartenance à la communauté helvétique. Donc l’initiative soutenue par l’UDC et les forces de la droite vise à détruire l’organisme central de perception des redevances qui permet aux télévisions et radios publiques alémaniques, romandes et tessinoises d’assurer leur mission, car celles-ci semblent être à l’heure actuelle les seuls organismes capables de relativiser quelque peu les campagnes de propagande massive que ces partis se paient régulièrement. Cette élimination d’un contre-pouvoir qui les gêne semble donc jouer en faveur de l’intérêt à court terme de ces partis. On peut en tout cas remarquer déjà des résultats à leurs actions pernicieuses menées contre les médias de service public avec diverses limitations et retraits des moyens mis à disposition des chaînes, entraînant licenciement de forces vives ; maintenus dans la peur, ces médias amplifient désormais le moindre toussotement provenant de ces champions de la manipulation.
Dans la simple préoccupation du bien commun, il s’agit de manifester et d’approfondir clairement le refus de tout livrer aux forces de l’argent, car il en va de la survie, ou non, de notre démocratie.