La presse dans la tourmente !

Numéro 58 – Avril 2018

Concentration, restructuration et licenciements, la presse suisse romande ne cesse d’affronter des tempêtes économiques. Comment poursuivre dans ces conditions ? Si la question est brûlante, la réponse pourrait refroidir ceux qui croient à son avenir.

 
 

« Nous avons voulu nous opposer à la restructuration, et nous voilà déjà en train d’essayer d’améliorer un plan social », s’indigne Gilles D’Andrès, membre de la Commission de rédaction de l’ATS (Agence télégraphique suisse) en mars dernier. Coup de tonnerre dans la sacro sainte paix sociale helvétique, la rédaction de l’ATS s’était mise en grève fin janvier espérant ralentir le processus de restructuration de l’entreprise, suite à sa fusion avec l’agence Keystone, et stopper la quinzaine de licenciements effectifs (en réalité 35,6 postes plein temps supprimés sur 150). Sourde à cette manifestation de protestation contre un démantèlement particulièrement hâtif, la direction l’a poursuivi sans attendre que la procédure de conciliation envisagée devant le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) soit enclenchée.

À l’ATS, qui fournit l’ensemble de la presse suisse avec un ser-vice d’informations nationales et internationales, les journa-listes ont le sentiment d’être inaudibles auprès de leur direction. Un sentiment qui touche aussi les membres de la commissionde rédaction de 24Heures dont Karim Di Matteo fait partie :« De manière générale, nous vivons des heures moroses. Nousvenons de terminer une restructuration avec la création d’unerédaction T – T pour Tamedia – qui regroupe à Lausanne desjournalistes des rubriques étrangère, économique et nationalede 24Heures, de la Tribune de Genève et du Matin Dimancheet nous entrons dans une nouvelle période d’incertitudes, avecdes rumeurs persistantes de nouveau plan d’économies subs-tantielles et donc de potentiels licenciements malgré l’annonce de bons résultats financiers réalisés par Tamedia. » Depuis 2009, date du rachat du groupe Edipresse par Tamedia, les rédactions concernées se réduisent d’année en année. Selon une source bien informée, un nouveau plan d’économie serait en préparation demandant aux rédacteurs en chef des trois organes précités d’exiger encore plus de sacrifices de la part de leurs collaborateurs. Quant au Matin, après avoir fusionné sa rédaction avec celle de 20 Minutes, il risque de devenir bientôt 100 % numérique. « Tout n’est pas à mettre sur le compte des éditeurs. La perte de la publicité qui constituait la base de financement de nos journaux est un mouvement général dans les médias traditionnels » rappelle Karim Di Matteo. « En attendant de trouver de nouveaux modèles économiques, les journalistes du groupe continuent leur travail avec détermination. Ce qui est positif c’est que les rédactions se battent ensemble. Nos confrères alémaniques sont aussi concernés et l’appel est national au niveau du groupe. Je suis persuadé que chaque quotidien a toujours un rôle central à jouer dans sa région, mais nous devrions plus nous concerter au niveau national puisque nos éditeurs possèdent des journaux dans tout le pays. »
 

Et alors que Le Temps survit après le sacrifice de L’Hebdo par le groupe Ringier, les quotidiens régionaux résistent vaille que vaille grâce à l’effet de proximité.

 
« Nous sommes nous aussi rattrapés par la crise structurelle qui touche toute la presse romande », relève Serge Gumy, rédacteur en chef du quotidien fribourgeois La Liberté. « Nous souffrons actuellement du recul des recettes de la publicité nationale, alors que la pub locale se maintient. Par ailleurs, nous assistons à une lente érosion de notre lectorat. C’est pourquoi nous devons partir à la conquête de nouveaux lecteurs, qui se trouvent toujours plus sur le numérique. » Ailleurs en Suisse romande, ESH Médias (groupe Hersant) chapeaute une grande partie des journaux régionaux du Valais au Jura, en passant par la région lémanique et le canton de Neuchâtel. Étonnamment, il mise sur le papier avec un nouveau centre d’impression qui leur sera dédié. Parmi eux, Le Nouvelliste tire son épingle du jeu, alors que l’Impartial et l’Express ont récemment fusionné sous le titre d’ArcInfo et que le quotidien La Côte a licencié plusieurs collaborateurs.
 
Impressum, l’association des journalistes suisses, dénonce les climats de travail délétères qui s’installent dans les rédactions de Suisse romande chapeautées par de grands éditeurs comme Tamedia ou Ringier qui s’intéressent désormais plus aux produits et à la rentabilité qu’aux contenus. Réunie en assemblée générale en mars dernier, la plus grande organisation professionnelle suisse, représentant près de 5000 journalistes, a décidé de créer un fonds de grève et a voté une résolution appelant à l’aide directe et indirecte à la presse. Une décision qui relaie celle de la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale (CGOS) qui réclame une hausse sensible du montant consacré à l’ATS dans le cadre de la future redevance radio-TV vouée à la SSR qui devra elle aussi faire des économies à l’avenir.