Inéluctable doit-il rimer avec inéquitable?

Inéluctable doit-il rimer avec inéquitable?

Les grandes plateformes actives dans le streaming audiovisuel et musical comptent désormais des millions d’utilisateur·rice·s en Suisse. Un succès inéluctable dont ne profitent pas équitablement les artistes. La loi Netflix et les plateformes locales peuvent-elles y remédier ?

Focus : Allan Kevin Bruni, rédacteur 

Avec l’arrivée de Netflix en 2014, et de toutes les autres plateformes de vidéo ou de musique à la demande qui ont suivi, un changement radical dans la manière de consommer la culture s’est opéré. Selon des sondages effectués par moneyland.ch en 2023, plus d’une personne sur deux se divertit désormais sur Netflix en Suisse. Malgré une augmentation des tarifs d’abonnements mensuels par ce géant du streaming audiovisuel, la clientèle continue de croître; ce notamment en raison de la nouvelle politique de l’entreprise, qui ne permet plus de partager son mot de passe avec autrui.

Pour Spotify, c’est le même scénario : la plateforme de streaming musical compte pas moins de 2,5 millions d’adeptes helvétiques, dont 1,4 million d’utilisateur·rice·s régulier·ère·s, selon l’étude IGEM-Digimonitor 2022. Ce en dépit d’une hausse des prix des abonnements mensuels atteignant jusqu’à 12%. Le règne est complété par Amazon Prime, Disney+ ou encore YouTube, qui eux aussi aident à faire exploser les compteurs du streaming de masse. Et la recette semble porter ses fruits : Netflix et ses concurrentes empocheraient près de 300 millions de francs par année en Suisse. Et Spotify ne s’en sort pas moins bien, puisque neuf utilisateur·rice·s sur dix détiennent un abonnement payant.

Dons et prix libre

Ultra-visibles et médiatisées, ces géantes ne sont pas les seules plateformes de streaming disponibles sur le marché helvétique. Pour les films et les séries, c’est à Play Suisse qu’on pensera en premier. Et pour cause, la plateforme faisait état, dans son rapport de gestion 2022, de 639’333 comptes. Financée par les redevances Serafe, l’offre proposée par la SSR SRG est complètement gratuite. Parallèlement, d’autres plateformes plus petites font de l’œil aux amateur·rice·s de culture et de divertissement. Filmingo – qui se définit comme la plateforme de streaming de cinéma d’auteur -, artfilm.ch – qui met en avant les films suisses -, ou encore KAVEA, qui offre un abonnement gratuit tout en proposant de soutenir la création suisse. Pour cela, les utilisateur·rice·s peuvent financer un projet audiovisuel leur tenant à cœur. À noter que cette plateforme serait en train de développer une sorte de rémunération au chapeau des contenus à disposition. 

Les autres secteurs artistiques ne sont pas en reste. On peut citer le théâtre et les arts performatifs qui, depuis 2020, peuvent compter sur Spectyou. Sur cette plateforme germanophone, il est possible d’avoir accès à des pièces de théâtre, des performances, ainsi que des spectacles de danse. Un système de dons est mis en avant, tout comme une politique de prix libre pour le visionnement des contenus.

Les grands mieux rémunérés que les petits

Dans le premier épisode de Ca$h Musique, une série consacrée au fonctionnement des plateformes de streaming musical (voir aussi en page 12), Télérama se penche sur le modèle de rémunération des « grandes », à savoir Spotify, Apple Music, Deezer ou Tidal. On y apprend que c’est par un système de prorata que les artistes perçoivent un revenu. Grosso modo, les recettes faites sur les abonnements et sur la publicité sont ensuite reversées à hauteur du nombre d’écoutes. Donc plus un titre est écouté, plus la rémunération sera importante. Cependant, ce système est problématique : les artistes les plus écouté·e·s touchent une part proportionnellement plus importante des recettes générées par ces plateformes que les musicien·ne·s moins populaires. Selon la même source, neuf artistes sur dix toucheraient moins de 1000 euros par an sur les plateformes de streaming musical.

Les métiers de la musique, tout comme ceux de l’audiovisuel d’ailleurs (voir aussi en page 7) sont donc soumis à de fréquentes injustices financières malgré l’infatigable demande. En comparaison aux géantes internationales, les plateformes de streaming helvétiques visent à soutenir l’économie culturelle de notre pays en essayant d’instaurer des systèmes de traitement plus justes et éthiques. Dans quelle mesure la Lex Netflix apportera-t-elle une contribution à cet effort ? Réponse dès janvier 2024 !