Premier rôle pour les robots

Premier rôle pour les robots

Avec des voitures se conduisant seules et une intelligence artificielle capable d’écrire des pièces de théâtre, la réalité semble parfois sortir tout droit d’un roman de science-fiction. Et c’est bien dans la fiction, mais au théâtre, que le « robot » est né, sous la plume d’un dramaturge tchèque bien humain.

Zoom : Elvire Akhundov, rédactrice

Prague, 1921. Karel Čapek crée le mot « robot » dans sa pièce « Rossum’s Universal Robot », œuvre très populaire qui sera rapidement traduite dans une trentaine de langues. Toutes conserveront le néologisme « robot », emprunt du vieux slave «corvée». Ces premiers robots sont bien différents des êtres mécaniques et froids que l’on retrouve dans l’imaginaire collectif. Ce sont des «humains artificiels, fabriqués en série, conçus uniquement pour le travail», explique Romain Bionda, maître-assistant en littérature comparée à l’Université de Lausanne (Unil).

Qu’est-ce qu’un robot ? On peut le définir comme un être créé par l’homme pour le servir. Selon Romain Bionda, dans la pièce de Čapek, « le patron de l’entreprise R.U.R. défend leur fabrication par la pro- messe que ses robots permettront à terme de libérer tous les humains du travail ». Ce discours reflète l’idée du progrès sauveur de l’humanité et du remplacement des travailleur·euse·s humain·e·s par des machines

Les robots forment donc une nouvelle classe ouvrière. Ainsi n’est-il pas surprenant de rencontrer des créatures se révoltant contre leur créateur·rice : ce motif se retrouve dans « Ignis » dans la littérature ou encore « Terminator » dans le cinéma, récits qui présagent une domination de la machine sur l’humain. Faisant pendant à l’utopie, ils expriment la peur face à la machine qui bouleverse l’ordre social. Le spécialiste précise : « Le motif de la révolte des machines se construit sur le modèle de la révolte des esclaves, des ouvrier·ère·s, des prolétaires. »

De lautomate au robot

Čapek n’invente pas son robot à partir de rien. « Sur les scènes de théâtre, de ‘vrais’ êtres articulés ou mécanisés ont été régulièrement présentés, avec beaucoup de succès », poursuit Romain Bionda. Lise Michel, professeure en études théâtrales à l’Unil, donne l’exemple des spectacles d’automates de Robert-Houdin, qui fascinaient le public par leur technique. Dès le XVIIe siècle, des effets de scène furent utilisés dans le « théâtre à machine » afin d’éblouir le public.

À partir du XXe siècle, l’approche théâtrale devient réaliste. « Certain·e·s metteur·euse·s en scène ont affirmé qu’une scène sans comédien·ne·s serait plus à même de garantir l’immersion fictionnelle du public », précise Romain Bionda. La thématique des robots permet d’explorer un nouveau rapport au public à travers l’esthétique.

Lise Michel donne l’exemple récent (2019) de la pièce « Uncanny Valley » de Rimini Protokoll, avec un robot humanoïde si semblable à un être humain que ses imperfections semblent monstrueuses. Dans « Moi travailleur » (2008) d’Oriza Hirata, deux robots mécaniques dia- loguent ; leur gestuelle et leur dis- cours miment ceux de l’être humain. « On leur prête des intentions », souligne la professeure de l’Unil. Le robot permet ainsi « d’expérimenter avec d’autres formes de présence scénique » pour provoquer de nouvelles émotions chez les spectateur·rice·s. Que ce soit par distanciation ou identification, le théâtre a été et reste un berceau d’exploration des relations homme-machine.