De l’art et des femmes en soldates sans armure

De l’art et des femmes

en soldates sans armure

Les femmes, l’art et la culture en Suisse.
Des chemins fertiles et pourtant minés en toile de fond.
Et de la beauté d’autant plus combattante

Chronique : Christophe Gallaz, écrivain et chroniqueur

Les chemins minés constituent ce qu’on appelle, à l’heure des journaux télévisés, la situation des femmes dans le monde. Qui sont écrasées à tous égards en Afghanistan comme en Iran, deux États emblématiques sur ce point. Qui sont tuées en tous lieux pour cause de féminicides. Qui sont battues partout et largement disqualifiées sur les plans économique et financier, jusqu’en notre Suisse assez vertueuse en surface pour être pétrie d’hypocrisies subséquentes déployées sur les plans de la protection environnementale ou de la neutralité politique.
À quoi s’ajoute aujourd’hui, aux dépens des femmes, tout un jeu d’influences exercées par le biais de réseaux sociaux comme YouTube et Tik Tok. Voyez ces prophètes masculinistes à l’instar d’Andrew Tate, emprisonné l’autre semaine en Roumanie pour trafic d’êtres humains, et dont le discours contamine les esprits poreux. Jusque dans les écoles de Grande-Bretagne, par exemple, dont le quotidien The Guardian rapportait au début janvier que d’innombrables jeunes gens sont imprégnés jusqu’au trognon par la culture du viol et du blâme à l’endroit des victimes féminines.
Telle est la situation générale que les créatrices doivent dépasser non seulement pour se fabriquer en tant que telles, mais encore pour rayonner et faire valoir leur travail et leur statut dans les paysages culturels. Elles n’en seront que meilleures, diront les cyniques et les imbéciles, sans mesurer que quelques créateurs mâles en profitent sans doute pour être un peu moins bons. C’est même sur ce point que la réflexion peut devenir intéressante.
L’art et la sensibilité qui le fonde nécessairement ne sont pas étrangers, en effet, à ce que les catégorisations primaires de nos langages contemporains nomment volontiers la part féminine de l’être. Celle qui perçoit avec une acuité non conquérante toutes les nuances du monde, ses cycles appelant la vie future après la vie disparue, et qui ne retient pas l’expression de ses chagrins pour les motifs pathétiques d’une pseudo- dignité virile sacralisée dès l’enfance.
C’est pourquoi je révère le modèle des créatrices s’étant forgé les compétences de survivre « à la masculine » dans les microcosmes tempétueux de l’art et de la culture, comme je révère le modèle symétrique des créateurs ayant fait de leur part féminine un élément foncier de leur inspiration. Deux réussites en miroir plus rares qu’il ne semble au premier abord, je trouve, dans la mesure où doivent alors triompher, chez les intéressées comme chez les intéressés, des sincérités n’ayant a priori rien de compatible avec la nécessité de savoir se vendre sur les marchés de ce que l’essayiste Guy Debord a bien justement nommé la Société du spectacle. S’affirmer sur la scène en soldates sans armure, décidément, un sacré programme. Ou l’inverse…