Plus de la moitié des artistes suisses sont pauvres

Plus de la moitié des artistes suisses sont pauvres

Compte-rendu : Emmanuel Deonna, journaliste et critique indépendant

Une journée consacrée à la rémunération des artistes helvétiques a abouti à un constat alarmant. Dans ce contexte, des solutions doivent être trouvées urgemment. Mais pas à n’importe quel prix.

En Suisse, 60 % des artistes gagnent 40’000 francs ou moins par année. Plus de la moitié des artistes helvétiques sont donc pauvres. Tel est le constat le plus alarmant découlant d’une journée consacrée au statut et à la rémunération des artistes qui s’est tenue le mois dernier à Berne. L’événement était organisé par les professeur∙e∙s de l’Université de Genève Yaniv Benamou et Anne-Sylvie Dupont, ainsi qu’Ariane Morin, de l’Université de Lausanne. En plus des voix d’experts en droit, celles des directeur∙ice∙s des offices cantonaux et municipaux de la culture, de la direction de Pro Helvetia et de différentes associations professionnelles ont été entendues.

Les régimes auxquels sont soumis les artistes, en particulier celui de salarié∙e et celui d’indépendant∙e, ont été évoqués. Un regard critique a été porté sur le mécanisme du portage salarial mis à mal par de récentes décisions de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Selon le secrétaire général de l’association Culture Sociale Suisse

Etrit Hasler, qui est très engagé sur le front des indemnisations, la précarisation des métiers des arts et de la culture a été particulièrement mise en lumière par le Covid-19. Ainsi, 30 % des indépendant∙e∙s ne cotisent ni à l’AVS, ni au deuxième pilier. La situation des auteurs∙rice∙s, des plasticiens∙ne∙s, ainsi que de certains∙e∙s intermittent∙e∙s du spectacle, est très alarmante.

Risque de bureaucratisation

Une augmentation des rémunérations et l’extension du salariat sont des nécessités vitales. Parmi les pistes pour améliorer leur statut figure le régime de revenu universel des arts qui correspond en Belgique à un véritable projet d’emploi public pour les artistes. La proposition novatrice des musicien∙n∙es vaudoise et genevois Cléa Pellaton et Marco de Freitas, réunis autour d’un concept de coopérative de payrolling, a également été mise en lumière. Cette coopérative a pour objectif de pallier les lacunes organisationnelles d’employeurs peu scrupuleux en consolidant les revenus dispersés des musicien∙n∙es payés au cachet, d’optimiser leur couverture sociale et de clarifier leur situation fiscale, tout en leur permettant dans l’idéal de souscrire à un emprunt ou de louer un appartement.

Certain∙e∙s intervenant∙e∙s ont déploré le temps et les moyens financiers toujours plus réduits permettant aux artistes de se consacrer à leur travail créatif et à la diffusion de leurs œuvres. D’autres ont plaidé pour inculquer aux artistes, dès leur formation de base, une vraie culture de la négociation et du management. La bureaucratisation des métiers des arts et de la culture est cependant un risque à prendre au sérieux. Elle priverait l’action culturelle de son sens et risquerait d’affaiblir la cohésion sociale. Et l’appauvrissement du contexte créatif pourrait être le corollaire d’un recul face aux diktats de l’idéologie gestionnaire.

Les nombreux risques psychosociaux auxquels sont confrontés les artistes réclament sans aucun doute des solutions urgentes. Cependant, l’art et la culture ne doivent pas y perdre leurs âmes.