Les canons de la mode ont fait long feu

Les canons de la mode ont fait long feu

Lors du colloque « Tu es canon ! », ASA-Handicap mental a dressé l’état des avancées de la mode inclusive. L’idée est-elle d’élargir le cadre afin d’inclure tout le monde ? Pas vraiment. Il est plutôt question de redéfinir les contours afin que chacun·e puisse y entrer et en sortir à sa guise.

Compte-rendu : Katia Meylan, journaliste

La tâche est vaste car c’est tout un système, celui du prêt-à-porter mondialisé vecteur de dégâts sociaux et écologiques indéniables, que le Manifeste aspire à changer. L’occasion pour les entrepreneur·euse·s d’investir un marché encore peu exploité ? Après tout, selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé, 15 % de la population mondiale vit avec une forme de handicap et n’entre donc pas dans le public cible de la mode standardisée.
Lors de ses colloques annuels “Tu es canon!” dont le troisième a eu lieu en mars dernier au mudac de Lausanne, ASA-Handicap mental a dressé l’état des avancées de la mode inclusive. Ont été présentées des initiatives telles que la coopération entre la marque de vêtements Differently Enabled (Angleterre) et la startup BeAwear (Allemagne), qui conceptualise un scanner de corps 3D afin de créer des habits sur mesure pour tous types de morphologies. On peut aussi citer le travail de l’association Bien à porter (France), qui inventorie et documente les collections des grandes marques selon leur compatibilité avec différents handicaps.

Et en Suisse romande ?

ASA-Handicap mental œuvre elle-même à l’échelle romande afin de faire bouger les lignes. L’association est remontée aux sources de l’industrie créative en approchant deux écoles d’art, la HEAD-Genève et l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL), avec des projets spécifiques : à la HEAD, la création d’une tenue adaptée au corps de Maud Leibundgut, danseuse en situation de handicap physique. À l’ECAL, un projet intitulé « Inclusive Soft goods Hardware » s’est penché sur la facilitation des systèmes de fermeture. Les étudiant·e·s participant·e·s ont témoigné, lors de la présentation de leurs travaux au colloque, avoir apprécié de collaborer avec les personnes concernées afin de comprendre leurs besoins en amont, puis avoir des retours directs sur la fonctionnalité de leurs prototypes. La contribution à une plus grande justice sociale a également été mentionnée parmi leurs motivations.
Teresa Maranzano, responsable du projet « Tu es canon ! », espère que ce genre d’ateliers deviendra une norme au sein des écoles d’art. « Nous avons apporté notre expertise, édité un livre qui offre un support théorique à cette pratique, rassemblé un groupe de personnes prêtes à s’engager… » La balle est dans leur camp, appellet-elle, consciente toutefois que les cursus de formation mettront du temps à changer en profondeur.

La mode à 360°

Si le design est un point crucial d’une mode plus inclusive, le changement passe également par l’aspect promotionnel, que ce soit dans le choix des ambassadeur·ice·s ou dans la vente. D’où l’intérêt de l’activité de Bien à porter, citée précédemment. Mais l’élément-clé de « Tu es canon ! », c’est la mise en pratique de la philosophie participative « Rien sans nous ». Jérôme Gaudin, psychologue FSP, porteur d’une paralysie cérébrale et participant au projet, témoigne : « Au début, je me disais que la mode était accessoire, que les personnes en situation de handicap avaient d’autres problèmes plus importants. » Son expérience rejoint désormais ce que déclare le Manifeste : par sa fonction d’expression d’une identité individuelle et collective, le style vestimentaire est un « droit universel ».