Édito n°10, juin 2006 – Vol au-dessus d’un nid d’artistes

Numéro 10 – Juin 2006

Survoler la situation des artistes plasticiens et visuels en Suisse romande, c’est s’offrir une belle topographie, tant le paysage artistique romand est riche et nuancé. Mais c’est aussi s’essayer à quelques loopings.

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Illustration © 2006, Bruno Racalbuto

D’un côté, les artistes jeunes et moins jeunes dont la production – quelle que soit sa valeur artistique – peine à les nourrir. Ils ont le réflexe de se coaliser, de mettre en commun leurs énergies. À Genève tout particulièrement, ces temps-ci, ils font de belles arabesques dans le ciel.

D’un autre côté, les politiciens de divers bords, qui ne perçoivent la politique culturelle que comme une façon d’extorquer à la collectivité des moyens d’entretenir des artistes inconnus… La communication radio est également brouillée par ceux qui ne voudraient attribuer des subventions qu’aux « stars ». Agrémentées de diatribes sur le saupoudrage, ces deux tendances squattent nos médias et nos parlements, comme le signale Yvette Jaggi, ancienne présidente de Pro Helvetia.

Il faut donc se dépêcher d’atterrir avant que les partisans de l’élitisme aient réussi à scier l’aile de l’avion. Si c’est le talent de l’artiste qui lui permet de dessiner la meilleure forme d’aile, c’est l’intérêt du public pour les œuvres d’art qui fournit l’air auquel il se frotte. Mais qui conçoit le moteur et livre le carburant ? Même pour l’art visuel et plastique, il faut des musées, des rétrospectives. C’est l’élu politique qui tient le robinet du kérosène, alors que le réacteur est plutôt l’affaire de l’ingénieur en politique « culture-aile ».

Mais dans tous les domaines : jumbo-jets du cinéma, jets privés de l’opéra, hélicoptères de la musique et du théâtre, ULM de l’art visuel ou …parapentes de la littérature, on a besoin d’énergie pour atteindre la vitesse de sustentation.Reconnaissons toutefois un intérêt à l’élitisme : la priorité qu’il donne à la qualité. La quantité d’œuvres d’art ne doit jamais être un but en soi. Ceci dit, on voit mal le public développer une passion pour un domaine avant qu’une certaine quantité et une certaine diversité d’œuvres ne lui soient proposées.

Ainsi, au cinéma, les films suisses romands sont encore trop rares pour éviter le grounding : le public ne peut guère avoir une image positive d’une compagnie qui ne propose que quelques charters par année. Zurich sur son grand aéroport est en train de mettre en œuvre des coordinations et des budgets adéquats qui permettent le lancement d’une véritable escadrille culturelle desservant jusqu’à la Suisse romande. Dans cette région, sur le petit « aéroport » fribourgeois, une votation très importante se déroulera ce mois-ci au sujet de la construction d’une salle de spectacle. Cependant, à l’échelle romande – pour tenir la comparaison avec Zurich – le seul ravitaillement existant, c’est la coordination « naturelle » mise en place par la Loterie Romande à travers son organe de répartition intercantonal. Mais la Loterie ne fournit pas le moteur. Ce sont donc les artistes eux-mêmes qui doivent se charger de hisser le planeur de la culture assez haut pour que les ingénieurs culturels des Villes et des cantons romands n’aient plus qu’à surfer sur les turbulences…