Tics et éthique autour du public

Numéro 15 – Septembre 2007

À l’heure où le marché dicte sa loi, le « public », entité informe et passive, a été investi d’une autorité indiscutable et indiscutée. Il joue, malgré lui, un rôle considérable dans la répartition des subventions aux artistes. Mais que signifie vraiment le mot « public » ?

Le « public » est un mot très en vogue dans l’argumentaire de la marchandisation galopante de la culture. Au départ, ce mot renvoie à deux facettes sémantiquement différentes. Lorsque les créateurs parlent de « public », ils évoquent l’ensemble des personnes qui sont les partenaires d’une représentation, d’une projection ou d’une exposition. Ce public-là parachève leur démarche artistique, puisque son regard fait exister l’œuvre et lui donne son sens. Pour gérer la culture, on parle aussi de « public », en soulignant non pas la qualité de sa présence, mais son importance numérique. Qui se doute que le qualitatif et le quantitatif se livrent une telle bataille à travers un seul mot ? Au théâtre, le quiproquo produit des situations savoureuses et vertigineuses. Le rire qu’il engendre est teinté de malaise, car on est face à un jeu de dupe, où chacun, croyant communiquer, se retrouve perdant.

À force d’envoyer « le » public sur les autoroutes de la culture, on lui interdit de voir autre chose que des produits formatés

Se servir du terme « public » pour orienter de manière décisive des choix qui mêlent l’artistique et l’économique demande d’énormes précautions. Avant toute chose, il faudrait énoncer clairement comment on considère le public. Est-il le paravent des incertitudes de la politique culturelle ? Est-il le sésame qui ouvre la porte des deniers ? Prétexte pour les uns et objet du désir pour les autres. Passif dans un sens comme dans l’autre, le public, du coup, devient incapable d’avoir une liberté de choix, si on ne trie pas avant même qu’il puisse se déterminer.

Autorité indiscutable

Rarement en démocratie on aura vu investir d’une autorité aussi indiscutable une instance dont on n’approche l’identité qu’en vertu de sa masse numérique. Dans un environnement différencié, qu’on appelle diversité culturelle et qu’il s’agit de défendre, on lui propose pourtant des « produits » formatés. À force d’envoyer « le » public sur les autoroutes de la culture, on lui interdit de voir autre chose que ce qu’on lui fournit.

Le public étant devenu un étendard de subvention et, partant, un argument de vente, il faudrait une étude très vaste et très sérieuse, avec chiffres et analyses, qui ferait état de sa composition, de ses attentes et de la diversité de ses réactions ! Ensuite, il s’agirait de redéfinir ce que le mot générique « public » est censé recouvrir.

Marchandage

Prendre le public comme entité abstraite pour point de départ est un procédé spécieux qui transforme en marchandage le respect dû aux « publics » auxquels s’adressent les artistes. Ce procédé sert des desseins qui n’ont que peu à voir avec le divertissement, ni avec la diversité, ni même avec la culture au sens large, et encore moins avec l’art. Considérer le public seulement comme un marché, c’est fausser le jeu économique en matière de culture en faisant pression sur les créateurs et le public même, à qui on fait croire qu’on peut rentabiliser la part immatérielle de la culture. Notre future loi sur l’encouragement à la culture devrait prendre en compte toutes les dimensions du « public », au risque de ne pas correspondre aux besoins d’aujourd’hui ni à ceux de demain.