Cinéma vaudois : lucratifs ou en péril ?
Le Canton de Vaud possède plus d’écrans de cinéma que toute la Tunisie réunie. Une bonne partie est répartie sur tout son territoire et végète en attendant que le coup de grâce lui soit donné par le passage intégral à la numérisation. « Qu’ils crèvent de leur belle mort », s’expriment les cyniques, qui croient encore à un libéralisme garant de « saine concurrence ».
En réalité, nombreuses salles appartenant à des privés ou des SA ont quitté ces dernières années le domaine du lucratif pour passer dans celui du passionnel. Même ne passer que des blockbusters n’assure plus, dans les petites villes et les quartiers périphériques, une véritable rentabilité. En réalité, ces salles de cinéma ont changé de fonction : du domaine commercial, elles ont glissé vers une fonction socioculturelle. Mais personne n’a remarqué « officiellement » le changement… Sauf là où la commune a déjà compris que la survie de la salle de cinéma passait par une municipalisation, ou du moins une aide substantielle – Le Sentier, Morges ou des salles en situation intermédiaire, comme Ste-Croix. Malheureusement, aux yeux des pouvoirs publics et de la Loterie Romande, la majorité d’entre elles a conservé un statut juridique « à but lucratif », d’où un refus de subvention.
Ni le manque de diversité de la programmation, ni le statut juridique d’une salle ne devraient être un argument définitif pour refuser une aide.
Tel est l’accueil réservé à la demande collective faite au nom des cinémas vaudois en difficulté, qu’après enquête et analyse, la Fondation vaudoise pour le cinéma a déposée ce printemps auprès de la Loterie Romande. L’organe de répartition vaudois des bénéfices est prêt à entrer en matière sur un soutien à certaines salles, mais uniquement celles dotées d’un statut juridique « à but non lucratif ». On peut comprendre que la Loterie Romande ne bafoue pas une de ses règles fondamentales. Mais la Fondation vaudoise pour le cinéma se proposait précisément comme un filtre permettant de déterminer les écrans incapables, par manque de rentabilité, de financer eux-mêmes le passage au numérique, et de répondre ainsi parfaitement à la mission de la Loterie Romande de ne pas aider des entités à but lucratif. La contradiction est flagrante entre le statut juridique et la réalité économique d’un grand nombre de salles parmi les plus menacées. Ni le manque de diversité de la programmation, ni le statut juridique d’une salle ne devraient être un argument définitif pour refuser une aide. Car dans très peu de temps, privées de copies 35 mm par la numérisation générale de tous les nouveaux films, ces salles devront fermer boutique. La perte sera considérable pour des régions entières. Elles n’auront plus aucune salle pour animer leur ville et retenir les jeunes sur place, qui se précipiteront encore plus souvent qu’aujourd’hui dans les grands centres multiplex, à des dizaines de kilomètres par voie autoroutière.
La perte sera considérable pour des régions entières. Elles n’auront plus aucune salle pour animer leur ville et retenir les jeunes sur place.
Il n’y a pas d’autre solution que d’aider ces salles à se maintenir en vie pour qu’à terme, elles puissent s’ouvrir à la diversité. L’inverse n’est pas vrai. La fermeture sera définitive. Mis à part un cas particulier, comme celui d’Yverdon, qui possède un bassin de population représentant un vrai « marché », et où toutes les salles viennent progressivement de fermer. Mais, là aussi, la Municipalité ne sait à quel saint se vouer. Maintenir le « Bel-Air », la belle grande salle en plein centre-ville, c’est opter pour une voie peu rentable, carrément culturelle et sociale, et donc impossible à gérer sans subventions, tandis que la construction d’un multiplex hors ville paraît économiquement rentable, ne coûterait rien à la Ville, mais causerait plus de dommages urbains et sociaux…
Les cinéastes vaudois (cej n°27), sensibles à ce risque de rétrécissement des possibilités de montrer des films dans toutes les régions du canton, ont renoncé à une partie des subventions destinées à leurs productions, pour venir en aide aux salles le plus en difficulté. Le Canton de Vaud, par la voix du Service des affaires culturelles de Mme Waridel, a apporté sa caution à cette démarche inédite. Un montant de 75’000 francs permettra d’ici la fin de l’année de soutenir – modestement – les salles qui, tout en se voyant opposer un refus par la Loterie Romande, tenteront tout de même de faire le saut numérique, courageusement.