Financement de la culture à Lausanne – Taxe, impôt et pique-assiettes

Numéro 4 – Décembre 2004

En annonçant à grand fracas le lancement, l’année prochaine peut-être, d’une initiative contre l’impôt de 14 % perçu à Lausanne sur les divertissements, le Parti radical embobine le public en lui faisant miroiter une réduction du prix des billets : à Genève, où une taxe similaire a été supprimée, le bénéfice pour les spectateurs n’a guère duré plus d’une saison. Si ce revenu de 5 à 6 millions de francs devait en revanche disparaître, une coupe dans les subventions culturelles sera inévitable, menace Jean-Jacques Schilt, municipal de la culture, des sports et du patrimoine. Les enjeux ne sont pas minces.

Le 11 novembre dernier, le Parti radical lausannois et les jeunes radicaux vaudois lâchaient leur bombinette dans la presse : le lancement d’une initiative populaire contre l’impôt communal de 14 % prélevé sur chaque billet vendu à Lausanne, que ce soit pour un assister à un match de football ou à un concert, aller danser, voir un film ou une pièce de théâtre. Parce qu’elles ont fait le lit malpropre de l’UDC, ces promesses d’économies brandies avec démagogie sous le nez du contribuable font désormais partie de la trousse d’urgence d’un Parti radical aux abois.

Cette démarche est d’autant plus étonnante qu’elle dénote un certain masochisme, comme le rappelle Jean-Jacques Schilt : « Il y a une dizaine d’années, un référendum lancé contre l’impôt sur les divertissements et son augmentation de 12 à 14 % par Miguel Stucky (ancien patron des salles Métrociné, reprises par le groupe EuroPlex, ndlr) avec l’appui des radicaux, avait été rejeté par le peuple. » Plus surprenant encore, les mêmes radicaux ont raté l’opportunité, en octobre, de lancer un référendum après l’adoption par le Conseil communal du nouvel arrêté d’imposition pour l’année 2005 incluant le maintien des fameux 14 % sur les divertissements. En lieu et place, ils annoncent le lancement d’une initiative... le jour où la future loi sur les initiatives communales aura franchi tous les obstacles. C’est-à-dire pas avant fin 2005.

Promesses éphémères

Les partisans de l’initiative : les cinémas, EuroPlex en tête. « Une suppression totale de l’impôt pourrait faire baisser le prix du billet de 1 francs. Evidemment, on ne peut pas garantir qu’un prix ne soit jamais augmenté par la suite », déclarait Brian Jones, son directeur (24 Heures, 11.11.04). On connaît la chanson : pour éponger le coût de l’éruption des multiplexes, le prix des billets de cinéma a augmenté en Suisse de 25 % en dix ans, tandis que l’indice des prix à la consommation ne progressait que de 8,9 % !

Les contribuables lausannois, c’est un fait, assument l’essentiel des coûts d’une offre culturelle dont bénéficie toute l’agglomération, voire tout le canton

Les organisateurs de spectacles, qui affirment éviter Lausanne en raison de l’impôt, sont aussi favorables à sa suppression. Ils ne se rabattent pas pour autant sur la Patinoire de Malley, située aux portes de la ville : « A Prilly, la commune a réduit son impôt sur les divertissements de 12 à 5 %, mais le prix des billets du Lausanne Hockey-Club n’a pas baissé et il n’y a plus un concert. L’effet incitatif escompté ne s’est pas produit », relève Jean-Jacques Schilt.

Subventions peut-être amputées

Jean-Jacques Schilt, pour sa part, tient mordicus à cet impôt. Et pas question d’en redistribuer le produit aux intéressés, par exemple les revenus du cinéma au cinéma, ceux du théâtre au théâtre, etc. Il s’en explique : « Tout d’abord, il faut préciser qu’il s’agit d’un impôt et non d’une taxe. Une taxe est affectée, alors d’un impôt ne l’est pas. Concrètement, une taxe s’applique à une prestation dont on estime la valeur et pour laquelle un paiement est demandé, par exemple un passeport. L’impôt est par ailleurs préférable, car il n’y a rien de pire que les recettes affectées : elles ne sont jamais aiguillées vers le bon endroit. Mieux vaut fonctionner avec l’impôt qui va dans un pot commun et financer les tâches importantes dans les différents domaines. »Quelques directeurs d’institutions culturelles ont été tentés à un moment donné de défendre la cause de la suppression de l’impôt, avec l’espoir de récupérer ces 14 % pour leur propre caisse. Je leur ai signifié que c’était hors de question. Ce qui est sûr, c’est que les subventions à ces institutions seront diminuées de l’équivalent des 14 % rétrocédés à la commune si cet impôt devait disparaître. »

Aux dires du municipal lausannois, ces coupes ne suffiront cependant pas à éponger la perte des 5 à 6 millions de recettes et il y a fort à craindre que les impôts des Lausannois augmentent : « Je les vois mal accepter sans autre de payer 1 à 2 points d’impôt supplémentaires parce que l’impôt sur les divertissements est supprimé ! ». Avec de tels arguments, Jean-Jacques Schilt est parvenu à réduire le camp du refus : « Maintenant, ces directeurs d’institutions comprennent tous que cette suppression risque d’entraîner une baisse générale supplémentaire des subventions et que cet impôt est un moyen relativement juste et indolore de faire payer les gens qui bénéficient de la culture lausannoise et n’en paient pas le prix par leur impôt. »

Communes pique-assiettes

Les contribuables lausannois, c’est un fait, assument l’essentiel des coûts d’une offre culturelle dont bénéficient toute l’agglomération, voire tout le canton. Ainsi en va-t-il dans le système fédéraliste suisse où chaque pré carré est jalousement défendu. Avec ses voisins pique-assiettes de la périphérie de Lausanne, Jean-Jacques Schilt tient donc son argument massue en faveur du maintien de l’impôt sur les divertissements : « Cet impôt présente l’avantage d’être en partie payé par les non-Lausannois qui ne financent pas la culture. On sait par exemple qu’environ les deux tiers des spectateurs de l’Opéra et la moitié de ceux du Théâtre de Vidy viennent des communes avoisinantes. Or ces communes ne paient rien ou alors des sommes complètement dérisoires, soit quelque 700’000 francs. » Avec une contribution toute symbolique et une ponction minime sur le prix du billet, les résidents des opulentes communes de Pully (taux d’imposition communal : 69 %), de Saint-Sulpice (49 %), de Paudex (60,9 %) ou du Mont-sur-Lausanne (65 %) vont au spectacle à peu de frais par rapport aux contribuables de Lausanne (83 %).

Si les « étrangers » des communes avoisinantes ont pu être boutés hors des crèches subventionnées de la ville pour des raisons similaires, la pénurie de places pour les Lausannois payeurs facilitait l’usage du couperet. Pour la culture, il en va tout autrement et Jean-Jacques Schilt repousse l’idée de recourir à des méthodes que certains appellent de leurs vœux : « Après vingt ans, une vieille idée préconisant de taxer les non-Lausannois qui vont au spectacle réapparaît à nouveau sous la forme d’une motion, puisqu’un fauteuil d’opéra représente 70 à 100 francs de subvention pour la commune. Mais quelles institutions devraient percevoir cette taxe ? C’est très compliqué et les directeurs ne veulent pas d’un contrôle quasi policier aux caisses. L’apport financier, compte tenu d’une majoration des prix finalement dissuasive, serait en outre minime. »

Quand l’argent coulera à flots...

Selon Jean-Jacques Schilt, la solution au problème de l’engagement en solo de Lausanne pour la culture réside peut-être dans la nouvelle loi cantonale sur la péréquation censée être sous toit en 2005. Aboutirat-elle à ce que le canton, comme à Zurich, assume quelques tâches culturelles ? Peut-être. « Sur le plan du canton, il y a quelques frémissements, ne serait-ce que parce que Lausanne est reconnue par la Constitution comme capitale et qu’à cet égard, elle assume des charges pour tout le canton. On peut toujours rêver : il est clair que si le canton d’abord, les communes ensuite, parvenaient à prendre en compte ces charges et que par un moyen ou autre, par exemple par distribution directe ou participation forcée, les autres communes versaient tout à coup 15 à 20 millions pour la culture, le problème se poserait en des termes différents. Pour le moment, nous n’en sommes encore pas là. »

La Confédération, bien sûr, n’entre pas en ligne de compte, puisque sa compétence se limite strictement au domaine du cinéma. « Le peuple a décidé que la compétence en matière de culture incombait aux cantons. A l’époque, nous nous sommes pourtant battus et c’est d’autant plus vexant qu’il y avait une majorité de justesse du peuple, mais pas des cantons. Ce qu’il faudrait, c’est un ministre de la culture qui ait beaucoup d’énergie pour revenir sur un sujet aussi délicat », constate Jean-Jacques Schilt.

Retour au pré carré

Cette subsidiarité est cependant bien pratique lorsque la question épineuse du cinéma est abordée. Il faut en effet savoir que si la ville subventionne les structures du théâtre, un non catégorique est opposé au soutien de salles qui s’efforcent d’offrir une programmation diversifiée conforme à la nouvelle loi fédérale sur le cinéma. Refus que confirme Jean-Jacques Schilt : « Nous n’intervenons pas dans le domaine du cinéma, qui est de la compétence de la Confédération et qui est un domaine commercial, de même que nous n’intervenons pas dans le domaine des variétés. Les dispositions sur la diversité de l’offre de la loi du cinéma n’ont d’ailleurs aucune contrainte pour le canton ni pour les communes. Nous intervenons en revanche dans le domaine des arts vivants qui sont créés et disparaissent au lieu de rester fixés dans la pellicule. Il y a une exception pour la Cinémathèque suisse, puisqu’elle est à Lausanne, et nous avons donné un coup de pouce au Zinéma et au cinéma Oblò pour leur loyer. Avec le canton, nous soutenons aussi volontairement la Fondation vaudoise du cinéma, alors que la plupart des communes ne le font pas. »

Chapitre clos pour Jean-Jacques Schilt, mais pas pour les milieux du cinéma. Et le municipal de conclure : « Tous les étrangers que nous accueillons dans nos grandes maisons sont renversés par la richesse de l’offre culturelle. Faut-il en faire encore plus ? Je suis tout à fait sceptique. ». Là, les milieux culturels vont manifester leur désaccord. Car si les 36,6 millions de francs du budget de la culture (dont 6,5 millions de contribution du canton) suffisent à répondre aux tâches jugées prioritaires par la ville – et c’est tant mieux pour la pérennité des grandes institutions ! – la création et les activités culturelles plus fragiles pourraient être mieux épaulées. Il y a donc lieu d’en faire beaucoup, beaucoup plus.