Hervé Dumont : Napoléon, l’épopée en 1000 films

Numéro 48 – Décembre 2015

Il fallait la patience, la persévérance et la minutie d’un bénédictin doublées d’un cinéphile hors-pair et d’un historien passionné ne manquant pas d’humour pour arriver à nous proposer un tel ouvrage encyclopédique sur Napoléon[1]. Hervé Dumont nous emmène allégrement en voyage avec le petit caporal, le général, l’empereur et l’exilé de Sainte-Hélène à travers la présentation de 1000 films (de 1897 à 2015) agrémentés des faits relatés aussi bien par l’Histoire officielle – inévitablement parcourue de sa cohorte de mensonges – que par les réflexions de l’historien qui n’hésite pas à essayer de remettre l’église au milieu du village. Mais laissons l’auteur nous présenter sa démarche.

Cet ouvrage n’est pas né d’une admiration aveugle pour Napoléon Bonaparte. Il est parti de la curiosité pour un mythe des temps modernes qui a traversé deux siècles et s’est répandu à travers le monde entier en imprégnant non seulement la politique, la jurisprudence, l’urbanisation, les sciences ou l’historiographie, mais tous les domaines artistiques : peinture, littérature de haut ou de bas étage, théâtre, opéra et, last but not least, l’écran, qu’il soit grand ou petit. Mille films de cinéma et de télévision, qui l’eût pensé !

La provenance en est internationale. […] Tous les genres sont représentés : fresques, drames, mélos, biopics, comédies, parodies. Des films culte, encensés, méprisés, oubliés ou perdus dont environ la moitié est restée inédite en France – où, comme en témoignent les sondages de l’Institut IPSOS en 1999 et ceux de la revue Historia en 2013, Napoléon demeure le personnage à la fois le plus prestigieux, le plus controversé et le plus médiatique de l’histoire hexagonale, le seul antérieur au XXe siècle qui se soit pareillement maintenu dans le panthéon imaginaire du pays. On aurait publié plus de livres sur ce champion de l’auto-marketing (ses Bulletins militaires et le recueil de ses réflexions formulées à Sainte-Hélène sont des modèles de propagande moderne) que de jours écoulés depuis sa mort en 1821, soit plus de 60’000... Comme Alexandre, comme César avant lui, Napoléon connaissait l’impact de la formule et du visuel électrisants, possédait le sens de la mise en scène euphorisante. L’expansion récente de la presse écrite, l’imagerie d’Épinal (qui allait encore décupler sa propagation vers 1860 grâce à la lithographie), les plaques de lanterne magique, les ombres chinoises multipliaient sa présence, tandis que des peintres cotés tels que David, Gros, Ingres, Debret, Gosse ou Gérard immortalisaient – en les magnifiant – ses exploits dans les lieux publics. Ces instruments de communication, le maître des trois quarts de l’Europe les personnalisa préalablement en se fabriquant une silhouette reconnaissable entre toutes (mèche, bicorne, redingote grise, main dans le gilet). Le prix à payer pour un souverain en quête perpétuelle de légitimité. […]

L’épopée napoléonienne n’est pas seulement française – elle est forcément européenne. On y trouve le récit des pays et des peuples qui l’ont accueilli, acclamé, subi ou combattu. Déployant son chant ostentatoire dans les médias populaires (jusqu’aux jeux vidéos et la bande dessinée), la matière a été instrumentalisée, récupérée, déformée selon le souvenir des nations. Et c’est là que les choses se corsent. Le principal concerné avait pour cela une formule de son cru, cynique, imparable : « L’Histoire est un mensonge que personne ne conteste. »

Trois regards en un

La matière est tellement riche que sa présentation dans ce livre implique une organisation particulière, qui tienne compte de trois perspectives à la fois différentes et complémentaires. Car l’ouvrage documente la rencontre, la confrontation, la superposition de trois Histoires : celle de Napoléon et de son temps, celle (globalement) du XXe siècle européen et celle du cinéma mondial. Un triple livre, en quelque sorte, conditionné – et motivé – toutefois en priorité par la reconstitution cinématographique. Comme on le sait, un film ne surgit pas du néant ; c’est un produit ou une création qui porte nécessairement les stigmates de son temps, même quand des considérations de marché ou le simple plaisir de donner corps à un récit attrayant semblent avoir présidé à sa production. Le déchiffrer signifie donc non seulement le voir […], mais si possible en décortiquer la genèse, le tournage et la réception dans la presse de l’époque.


[#1] Napoléon, l’épopée en 1000 films, Cinéma et télévision de 1897 à 2015. Par Hervé Dumont – Ides & Calendes et Cinémathèque suisse, Lausanne 2015, 724 pages, 900 photographies. CHF 39.00