Les vrais enjeux, au-delà de la discorde.

Numéro 50 – Mai 2016

Dans une étude sur les propriétaires des médias dans le monde, le medi@lab, laboratoire de recherches de l’institut des sciences de la communication, des médias et du journalisme de l’Université de Genève, montre que les nouveaux acteurs d’internet que sont les moteurs de recherche comme Google ou les plateformes technologiques comme Facebook mettent en péril la pluralité des médias et siphonnent les ressources publicitaires globales. La Suisse qui bénéficie encore d’une information diversifiée et de qualité fait pour l’instant exception dans le paysage mondial. Mais la pression est immense et les discordes entre les acteurs du marché paraissent bien dérisoires face au tsunami qui s’annonce.

Les principaux médias « offline »

Pour résister à la menace numérique, un processus de concentration s’est opéré parmi les grands acteurs de la presse écrite au cours des dix dernières années en Suisse. Les parts du groupe Tamedia qui totalisaient 26% du marché en 2005 ont progressé à 45%. Celles de Ringier sont passées de 10% à 18% dans la même période. Une position dominante certaine,tempérée par l’existence de quelques moyennes et de nombreuses plus petites voix,indispensables pour assurer la pluralité et la qualité de la presse helvétique.

Les parts de marché de 37% – 38% de la SSR-SRG en 2005 se sont, dans le même temps, réduites à 33% pour la SRF, 31% pour la RTS et sont restées stables à 38% pour la RSI en 2014,selon les chiffres récents de l’office des statistiques.Si la SSR possède de fait le monopole en tant que service public, il n’en est rien en terme économique, avec une part d’environ un tiers du marché. Les chaînes TV locales ou régionales occupent une place assez importante,en particulier en Suisse alémanique avec 7% du marché.

Les raisons de la discorde

En été 2015, la SSR, Swisscom et Ringier ont conclu une alliance publicitaire pour lutter contre la présence de plus en plus massive des chaines étrangères, des moteurs de recherche et plateformes numériques, une joint-venture entretemps approuvée par la Commission de la concurrence et par l’Office fédéral de la communication (OFCOM), sous certaines conditions.

En mars 2016, l’association Médias Suisses a fait recours auprès du tribunal administratif fédéral contre la décision de l’OFCOM.D’après elle, l’utilisation des contenus de la SSR avec les données-clients de Swisscom pour développer une publicité ciblée va provoquer une distorsion de concurrence qui finira par asphyxier les médias privés. Par ailleurs, les tiers ne pourront pas réellement s’associer au capital de cette co-entreprise et devront se contenter d’en être de simples clients. À cela, la SSR rétorque que tous les médias pourront profiter des mêmes services en payant une commission de régie et qu’il est urgent de créer des alliances entre les différents acteurs suisses des médias.

Les vrais enjeux des médias « online »

Vouloir priver la SSR de son développement numérique et publicitaire, croire qu’en l’affaiblissant on renforcera les médias privés,semble être une vue à court terme aussi dérisoire que mercantile face au tsunami annoncé. Selon l’étude du professeur Badillo, directeur du Medi@lab,le monde des plateformes numériques, des moteurs de recherche, des fournisseurs d’accès à internet et des opérateurs de téléphonie,est en train de pulvériser les systèmes traditionnels des médias.Il pourrait potentiellement s’approprier les 2/3du gâteau publicitaire suisse dans les années à venir. 40% du marché tomberait dans les mains des GAFA, les Google, Apple, Facebook, Amazon, acteurs du Big Data aux algorithmes de plus en plus puissants, force numérique massive mettant en danger la pluralité des médias, mais aussi et surtout la notion même d’une information considérée comme un bien public et par là, la cohésion nationale et les fondements de notre démocratie.Seul un regroupement des différents acteurs, y compris les opérateurs de téléphonie, permettra d’avoir une taille critique suffisante pour développer une stratégie digitale à même de conserver nos propres ressources en résistant à l’assaut des médias étrangers. Ces alliances ouvertes de façon positive à tous les acteurs du marché devront assurer l’avenir des petites voix de la presse écrite, des TV et des radios locales, de façon à maintenir la diversité intrinsèque à notre démocratie.Aux politiques d’étoffer le financement des médias par un système de régulation permettant de maintenir le haut niveau de qualité et de diversité de cette biodiversité, par des soutiens à la presse indépendante, par une redistribution d’une partie de la manne publicitaire, par une taxation des chaînes étrangères qui commercialisent des fenêtres sur notre territoire sans s’acquitter des droits et par une juste imposition fiscale des grands acteurs du web.