Le chaînon manquant

Numéro 51 – Septembre 2016

C’est le principe fondateur du droit d’auteur : toute exploitation d’une œuvre doit permettre à ses auteurs de percevoir une rémunération équitable.

C’est le cas de pratiquement toutes les formes d’exploitation, que l’œuvre soit musicale, scénique, littéraire ou audiovisuelle, ou un mix de tous ces répertoires. Ainsi, un droit d’auteur est perçu lorsqu’un film est diffusé à la télévision, lorsqu’une pièce se joue dans un théâtre ou lorsqu’une chanson passe à la radio. Le maillage actuel, fruit d’une collaboration de plusieurs dizaines d’années entre auteurs, producteurs, sociétés de gestion et utilisateurs, est particulièrement intense et souvent complexe à décrire.

Les exploitations payantes sur internet échappent à presque tout maillage

Il existe pourtant un territoire qui échappe à presque tout maillage et ce territoire n’est pas des moindres : les exploitations payantes sur internet. Dans ce cas très précis, à l’exception de la musique qui transite par les grands vendeurs, les auteurs de l’audiovisuel en sont pour leurs frais.

Pourquoi une remontée financière sur internet est-elle possible en musique et pas en audiovisuel ? Il faut d’abord savoir que la circulation des droits d’auteur dans la musique est au bénéfice d’une tradition d’une centaine d’années. Dès le départ, des remontées financières partagées entre éditeurs et auteurs ont été convenues et ce principe a été pérennisé par l’ensemble des acteurs du monde musical, y compris dans l’univers numérique.

L’audiovisuel connaît une chaine d’exploitation d’une autre nature : la cession des droits à un producteur, certes conditionnée, est une étape critique du mode de production mais surtout les exploitants de films et de séries dans les différents pays (distributeurs, parfois diffuseurs) considèrent historiquement qu’ils acquièrent ces œuvres sans devoir payer leurs auteurs. Naturellement, cette pratique s’est transposée dans le cadre des exploitations légales et payantes en ligne. La grande majorité des acteurs de ce marché - qui grossit tous les mois - entendent bien se laver les mains de toute rémunération aux auteurs en plus de l’achat des droits à leurs producteurs. Ces derniers sont par ailleurs divisés sur la pertinence de défendre une rémunération directe pour leurs auteurs.

Cette situation a amené les scénaristes et réalisateurs européens à exiger un droit à une rémunération inaliénable sur les exploitations en ligne (vidéo à la demande). Le principe est que, sur le prix payé par l’internaute pour visionner une œuvre en streaming ou la télécharger, l’opérateur doive rétrocéder un montant aux auteurs de l’œuvre par l’intermédiaire des sociétés de gestion. Quand on sait qu’un film ou qu’un épisode de série TV se monnaie à moins qu’un café, il est évident que nous parlons de quelques centimes pour les auteurs.

Cette exigence, légitimée par une profonde injustice, a pourtant été écartée par le groupe de travail AGUR12 mandaté par la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. Une majorité n’a pas pu être trouvée sur ce point, bien que les faits aient pu être établis. C’est donc sans surprise que rien à ce sujet ne figurait dans l’avant-projet de révision de la Loi sur le droit d’auteur proposé en consultation le 11 novembre 2015 par la même conseillère fédérale. La situation semble moins problématique sur le front européen où la profession audiovisuelle exige avec une insistance sans faille que les opérateurs de la vidéo en ligne ne puissent se soustraire au principe de rémunérer, modestement mais équitablement, les auteurs de l’audiovisuel. Nous savons tous qu’à terme, tout ne sera que diffusion en ligne, quel que soit le « montreur d’images ». Les fonctionnalités pour regarder une émission en différé replay amorcent ce virage. Ainsi, sans une prise de conscience importante des décideurs politiques et des acteurs du marché, une marche fondamentale pourrait être ratée dans l’escalier du droit d’auteur. Et partant, mettre en péril l’édifice construit avec patience au profit des auteurs. C’est une bataille que nous ne devons pas perdre.