Passion TV

Numéro 50 – Mai 2016

Dans cette période de bouleversements où tout est remis en cause et à ceux qui ne voient dans la TV qu’une vache à traire et qui ne pensent qu’à occuper internet soit pour y placer leurs publicités soit pour en faire le char de combat d’un parti, j’aimerais rappeler que les journalistes, les réalisateurs, les décorateurs, les graphistes, les 120 métiers de la Télévision l’ont créée sur la base d’un idéal : INFORMER • INSTRUIRE • DIVERTIR.

Que reste-t-il de ce mot d’ordre énoncé lors de la première séance des programmes,en 1954 et que j’ai encore entendu dans la bouche d’Alexandre Burger, directeur en 1972.Grâce à Jean-Jacques Lagrange premier réalisateur de la TV Genevoise, j’ai pu un beau jour y être engagé comme assistant. Je quittais une place fixe et un jazz-band que j’adorais,pour une lettre d’engagement renouvelable de mois en mois !

J’arrive un beau matin à la villa Mon-Repos dans mon vieux tacot de 1935 !Le chef technique me toise et déclare : « C’est ça qu’on nous a trouvé comme assistant ! » Il me prie aussitôt de balayer le studio, de peindre un panneau de décor puis d’aller porter des films à la gare ! J’ai donc compris immédiatement qu’il me faudrait être très très polyvalent !

Mon-Repos, c’était une villa et une douzaine de collaborateurs y compris son directeur Frank Tappolet et sa secrétaire.Le studio mesurait environ50 m2, il était doté d’éclairages, d’une seule caméra et d’un télécinéma! Aucune possibilité d’enregistrer. On filmait et l’on postsynchronisait.

Jean-Jacques Lagrange faisait des miracles, par exemple réaliser avec une seule caméra une courte pièce de théâtre. On émettait tous les soirs sauf le mardi, jour de relâche, mais pas pour l’équipe ! Répétitions en studio, tournages en extérieur avec une caméra Paillard muette et quelques interviews avec une Auricon enregistrant le son directement sur la pellicule 16 mm.

Peu à peu, d’assistant-accessoiriste-régisseur,je passais enfin à la réalisation et ce jusqu’en novembre 1992.

J’ai réalisé des centaines d’émissions, surtout dans le domaine de la fiction, des variétés et de la musique mais j’aimerais souligner que pendant 34 ans, j’ai surtout vécu une aventure magnifique comme tant de mes collègues.Nous ne comptions pas notre peine, notre temps. Souvent, après une émission, nous allions boire un verre pour nous détendre mais aussi faire le bilan de notre travail, rechercher ce qui pouvait être encore amélioré, dans tous les domaines. Il y avait un dialogue un échange permanent entre collaborateurs,techniciens, administrations et nos chefs.

Personnellement, jusqu’à ma dernière émission, j’ai gardé l’esprit de pionnier de Mon-Repos, la passion pour cette merveilleuse profession.

Dans un tournage, une émission en direct, tout le monde est important,chaque collaborateur est précieux un peu comme dans un orchestre où le couac d’un seul peut compromettre toute une interprétation !

Un gros effort avait été engagé pour la formation,non seulement pour les créateurs mais aussi pour le personnel administratif. Il était important à nos yeux qu’un comptable, une secrétaire comprenne comment se réalise une émission et se pénètre de l’esprit de la maison.

L’émission Continent sans Visa fit un tabac.Les équipes parcouraient le monde, parfois au péril de leur vie !

Premiers films d’Alain Tanner, Claude Goretta, Jean-Louis Roy, Michel Soutter, Jean-Jacques Lagrange, une génération de cinéastes se dessinait.

Les variétés se développaient : au tout début,une émission de jeu La Boule d’Or en collaboration avec Radio-Genève. Au fil des années,des vedettes de tous les styles passeront devant nos caméras. Festival de Jazz, Festival de la Rose d’or de Montreux.

En 1960, j’ai le plaisir avec deux autres collègues de réaliser avec notre car, une semaine de télévision en italien à Lugano comme un pré-lancement de la TSI. Au Tessin, les spectateurs ne reçevaient encore que la RAI. Je me souviens d’avoir réalisé un concert et la visite d’une exposition. J.C. Diserens, réalisera une émission de variétés.

L’arrivée de la publicité va enfin amener une manne bienvenue dans les programmes. On commence à savoir mesurer le taux d’écoute mais il n’a pas encore ce côté impératif qu’on lui connaît aujourd’hui.

L’introduction de la comptabilité analytique se fait à petits pas et n’impose pas encore trop de contraintes dans les départements. C’est une époque de mutation, d’évolution importante.

1971 – Me voilà nommé chef du département« Spectacle ». Pas de chance c’est dans une période mouvementée : une grève d’une journée.Le licenciement de six collaborateurs sur ordre du Ministère Public Fédéral et de la police !

Diriger ce département m’a passionné, j’ai aussi beaucoup aimé les relations avec les TV francophones étrangères mais moins les interminables séances dans une ambiance pas toujours souriante. Je démissionne ! Vive la réalisation !

Un bon souvenir pourtant. Un jour je reçois la visite de Christian Zehnder, réalisateur, et de Christian Defaye, journaliste, qui me proposent et me convainquent de produire une émission de cinéma mensuelle. Je n’ai pas de budget, pas de studio, mais enfin, Spécial Cinéma voit le jour et restera un grand succès de 1974 à 1995.

Peu à peu, grâce à la pub, je ne dirai pas que l’argent coule à flot mais cela va vraiment mieux. On enregistre des opéras, ballets,pièces de théâtre. En France comme en Suisse, on souhaite ne pas être envahis par les séries américaines. René Schenker, directeur,contacte Daniel Canello, PDG de TelFrance et lui propose de créer une succursale en Suisse et de tourner des fictions en co-production. Création immédiate de la société qui produira nombre de feuilletons et de films de 1967 à 1992 avec des acteurs et des techniciens français et suisses.

1972 – Le grand studio 4 de la Tour TV permet des productions plus importantes et des spectacles publics. Plus de caméras, des nouveaux cars de reportage, une nouvelle régie en studio. Grand développement de l’actualité et du sport. La Suisse est bien présente dans l’Eurovision et brille dans de nombreux concours.

Personnellement, j’ai eu encore la chance de tourner, en coproduction avec la Société Parisienne Technisonor, une série de 6 fois 52 minutes, en film couleur La pêche miraculeuse d’après un roman de Guy de Pourtalès. L’action se déroule entre 1913 et 1918. Elle comporte entre autre des scènes de guerre très spectaculaires.

Un budget de plusieurs millions !

Pour cette production : 75 décors, 117 rôles (dont une centaine de suisses), 810 cachets de figurants.

Dans cette période d’euphorie, l’administration a développé la comptabilité électronique. On commence à sérieusement analyser le taux d’écoute.

Je tourne une fiction, coproduction avec Antenne 2, une chaîne italienne et une portugaise.Le producteur suisse n’ayant pas eu le temps de visionner le montage définitif, je lui téléphone le lendemain de la diffusion pour savoir s’il est satisfait.

Réponse : « Oh ! tu n’as fait que 11% de taux d’écoute, que veux-tu, il y avait un super match de foot sur TF1 ! ». Pas un mot du contenu, de la réalisation, des comédiens !

J’ai compris que tout allait changer ! Cela n’a pas tardé !

Finie l’euphorie. Finies les retransmissions d’opéra. Finies les retransmissions des théâtres romands.

Orchestre de chambre de Lausanne, fini ! Orchestre de la Suisse Romande fini. Départ du brillant producteur (et chef d’orchestre) de la musique classique, Eric Bauer. Il sera remplacépar sa secrétaire !

Je ne suis pas passéiste. Je suis parfaitement conscient que de plus en plus on regarde la TV quand on le souhaite, en rediffusion. On regarde la TV sur son téléphone, sa tablette.Il faut réinventer, adapter.

Oui, j’aimerais participer à la création de la nouvelle future TV, je me sens encore plein d’idées… mais à 88 ans ! Alors je risque un souhait : pour réussir la grande mutation qui se dessine, il faut faire appel en priorité aux jeunes créateurs, aux réalisateurs, aux cameramen, aux preneurs de son, aux techniciens,aux auteurs, aux musiciens, à ceux qui ont des idées, à ceux qui sont le ciment de la TV. Une fois les idées sur la table, l’intendance peut suivre !

QUELQUES DATES POUR NOUS RAFRAÎCHIR LA MÉMOIRE
1952 Débuts de la télévision expérimentale
1954 De la villa Mon-Repos à Genève : premières émissions publiques
1965 Fin du jour de relâche (mardi) et introduction de la publicité
1968 Introduction de la couleur
1972 Installation dans la tour au quai Ernest Ansermet à Genève
1982 Déplacement du Téléjournal Romand de Zürich à Genève
1984 Création de la chaîne francophone TV5
1987 Les émissions commencent désormais à midi
1997 Création de TSR2
2001 Introduction du traitement numérique des images. Création de TSR.ch et début de la visualisation d’émissions sur internet
2007 Lancement du format 16:9 et de la HD
2010 Fusion avec RSR pour créer RTS
2012 En HD dès le 29 février. Les chaînes sont renommées RTS 1 et RTS 2