Certificat Covid: « Sésame, ferme-toi »

Numéro 70 – Juin 2021

A la veille de la votation sur la Loi Covid, zones grises et craintes se cristallisent autour de l’utilisation du certificat immunitaire. Bien que la majorité des faîtières ne s’expriment pas publiquement sur le sujet, de peur d’envenimer le débat autour du référendum, plusieurs voix dans les milieux culturels s’élèvent pour s’opposer à l’utilisation du certificat Covid, jugée incompatible avec le principe de l’accessibilité à la culture. Publié sur les réseaux sociaux, ce texte signé par un groupe de festivals lausannois, a ensuite été partagé par de plusieurs institutions culturelles romandes.

Après plus d’une année de navigation à vue, l’annonce d’un plan de réouverture était pour les festivals la promesse de retrouver quelques repères. Les incertitudes liées aux stratégies de réouverture et les risques budgétaires figurent en effet parmi les difficultés majeures auxquelles doit faire face notre branche depuis le début de cette pandémie. Mais les espoirs se transforment bien vite en inquiétude au moment où est introduit un nouvel outil pour les manifestations : le certificat COVID.

Face aux très nombreux obstacles que comporte la tenue d’un festival en temps de pandémie, ce passeport tient, pour nous, plus du problème que de la solution, tant il apparaît comme fondamentalement incompatible avec nos organisations. Loin d’être une évidence, sa mise en place pose en effet de très nombreuses questions tant éthiques que logistiques et financières.

Au niveau logistique, la simple perspective des infrastructures, du matériel et du personnel nécessaires à l’utilisation de cet outil donne à elle seule le tournis. Alors que les équipes se débattent encore avec les plans de protection, il est difficile de ne pas percevoir cet ajout comme un coup de massue. Sur le terrain, cela nous semble également aller à l’encontre de toutes les injonctions communiquées jusqu’ici. Ajouter au contrôle des billets et au traçage un nouveau critère ne peut qu’entraîner ralentissement et complications aux portes.

L’introduction du traçage en 2020 avait d’ores et déjà doublé le temps de contrôle, nous pouvons sans peine imaginer l’impact qu’aura la vérification dudit certificat sur les files d’attente, alors même qu’on nous astreint à réduire les attroupements. Nos organisations et nos plans de protection ont fait leurs preuves depuis plus d’une année, il semble légitime d’interroger la pertinence d’ajouter stress, pression et contrainte au public comme aux équipes d'organisation dans la perspective de cette réouverture.

Immédiatement liée à cette mise en œuvre, la question budgétaire est elle aussi problématique. Toutes ces mesures auront évidemment un coût que nos structures, déjà fragilisées par une année de crise, sont bien incapables d’absorber. Avec les pertes de billetterie, de recettes de bars et les surcoûts liés aux mesures sanitaires imposées, toutes nos manifestations ont dû faire un travail de fond pour s’adapter et se transformer. Alors qu’on parvient tout juste à stabiliser certaines solutions, il faudrait tout reprendre pour mettre en place un outil qui y ressemble de moins en moins. Pour bon nombre d’entités qui ne disposent ni de réserves financières, ni de nouvelles perspectives de financement, ces frais asséneraient sûrement le coup fatal.

Enfin, et surtout, se pose à nos yeux une question éthique. L’accès à la culture pour toutes et tous n’est pas un principe négociable. Il est au cœur de nos missions et du travail fourni par toutes nos équipes ces dernières années. Y renoncer reviendrait à mettre à mal la raison d’être de nos entités. Le contrôle de la population n’a jamais figuré dans notre cahier des charges et il est pour nous nécessaire que cela reste ainsi. La responsabilité écrasante des mesures sanitaires ne devrait pas être mise sur les organisateurs, elle serait paralysante pour nos structures, comités, salarié-e-s et bénévoles, alors qu'elle devrait être du ressort des autorités publiques. Nous ne nous sommes pas improvisé·x·es épidémiologistes ou médecins, nous réclamons donc le droit à être entendu·x·es comme expert·x·es légitimes dans notre domaine qu’est la culture, sans que cette dernière ne soit forcée à prendre position hors de son champ d’action, ou pire, instrumentalisée dans des débats qui ne sont pas les siens.

Nous demandons que le certificat Covid ne soit pas présenté comme le sésame d’un retour culturel car, s’il devait devenir une obligation pour tous les festivals et lieux, loin d’en ouvrir les portes, il pourrait achever de les condamner.

lire aussi la prise de position publiée dans Le Temps et dans le Think Tank de CULTURE ENJEU

Rappel

Initié au parlement dans le cadre de la Loi Covid, le certificat vaccinal avait été évoqué pour servir à faciliter les voyages internationaux. Le 21 avril, le Conseil Fédéral annonce une stratégie de sortie de crise impliquant notamment l’usage de cet outil à l’intérieur du pays. Le 19 mai, une application différenciée est annoncée, avec une utilisation obligatoire du certificat Covid pour les grandes manifestations et les discothèques, tandis que les petites manifestations et les lieux culturels sont placés en « zone orange », dans laquelle le certificat est facultatif, mais permettrait la suppression des plans de protection. En cas de détérioration de la situation épidémiologique, le certificat Covid pourrait devenir obligatoire pour ces lieux et événements.