L’art est la manière d’être au monde

Numéro 70 – Juin 2021

En ces temps de bouleversements liés à la pandémie, l’incertitude a envahi notre quotidien, précarisant nos liens sociaux, émoussant nos projets d’avenir et perturbant la fluidité de nos routines et de nos rites, jusqu’à nos rythmes biologiques les plus intimes qui régulent plusieurs de nos fonctions vitales. Mais qu’est-ce qui confère à l’activité onirique, et par extension notre rapport à l’art, toute son importance dans la prévention des maladies et le maintien de la santé ?

Il y un rêve que je caresse depuis longtemps lors de certaines de mes consultations et où je m’imagine tendre à mes patients une ordonnance sur laquelle il serait prescrit : visites au musée, 1x/semaine durant 3 mois, ou alors, représentations théâtrales en matinée, après le petit-déjeuner, 1x/semaine durant 6 mois. Telle que la définit l’OMS, la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition, pensée au sortir de la deuxième guerre mondiale et entrée en vigueur en 1948, n’a pas été modifiée depuis. Le « bien-être », quel mot déconcertant, voir curieux et un brin inattendu, il pourrait être un ordre, une revendication, ou peut-être même un slogan. En 2017, le « bien-être » fait son entrée dans la Déclaration de Genève1 qui est une adaptation du serment d’Hippocrate aux exigences contemporaines. Mais toujours pas de consensus sur ce terme qui continue à défier les expert·e·s, y compris les scientifiques et les politiques.

L’imaginaire, part essentielle de notre équilibre

Pour le professeur Sami Ali, auteur de la psychosomatique relationnelle2 selon laquelle la dimension corporelle d’un sujet et son âme sont une unité indissociable, ce qui est somatique est psychique et ce qui est psychique est somatique. La relation du sujet avec ses rêves et ses équivalents diurnes comme les fantasmes, les rêveries, le jeu et la créativité, est essentielle pour appréhender les pathologies qui touchent le corps. L’activité onirique ne se réduit pas selon lui, comme dans la théorie freudienne, à un gardien du sommeil ou à l’expression déguisé d’un désir, mais c’est son absence qui mènerait aux pathologies de l’adaptation. Celles où le sujet niant sa subjectivité, car soumis à des exigences sociales fortes et à une rupture de son unité, se retrouve emprisonné dans le banal3 et dans des situations d’impasse.

Le pouvoir transcendant de la création

Il me vient en mémoire une représentation théâtrale à laquelle j’avais assisté au Théâtre Kléber-Méleau à Lausanne. Dans sa lecture d’« Amour et Psyché » de Molière, le metteur en scène Omar Porras avait déroulé en ellipse le temps à travers l’histoire du théâtre : l’immobilité expressive du théâtre Nô, la géométrie chaloupée du Kathakali, les interpellations quasi harcelantes du chœur grec, la chorégraphie robuste des danses tribales, le pas précieux un brin hautin du libertin de Versailles. Et à travers toutes ces réalités et tous ces mythes faisant partie de notre patrimoine, les corps des acteurs accrochés à de savants engrenages de poulies invisibles, montaient dans les airs puis au gré de l’histoire, chutaient au ras de la scène ; ces mouvements surprenants entrainaient avec eux le souffle des spectateurs envoutés par ce rêve éveillé. Mais l’enchantement ne s’était pas arrêté là. En plein milieu du spectacle, les plombs du théâtre avaient sauté, plongeant toute l’assemblée dans l’obscurité la plus totale. Stupeur et incrédulité. Sortie des ténèbres, une voix-off très mécanique annonçait qu’il y avait malheureusement eu un problème technique, puis éclairé par une lampe de poche, un acteur fit son entrée balbutiant excuses et réassurance, mais en alexandrins. Durant toute cette scène, le spectateur n’avait cessé d’osciller entre la réalité et l’imaginaire. Et quand la « supercherie » fut dévoilée - ayant participé corps et âme à ce joyau de la métaphore théâtrale, le spectateur s’est retrouvé submergé d’une joie l’inondant de bien-être.

Tel peut être l’impact corporel du théâtre.

Beaucoup d’expressions artistiques peuvent engendrer la même résonance.

Dans le conte taoïste « Comment Wang-Fô fut sauvé »4, Marguerite Yourcenar emmène le lecteur vers ce même voyage. Quand on évoque cette nouvelle, on pense toujours à son dénouement : Wang-Fô, vieux peintre chinois vivant une vie monacale et nomade entièrement consacrée à son art, est capable de se réjouir des simples images de la nature, d’y déceler ce qui est essentiel et tout ce qui continuera à exister après lui. L’empereur qui l’accuse d’imposture, émet un mandat d’arrêt contre Wang-Fô et le condamne à mort car il juge que les toiles du vieux maitre sont bien plus belles que le monde réel et en cela, se sent trahi. Toutefois, avant d’exécuter Wang-Fô, l’empereur lui intime l’ordre de terminer une peinture représentant un paysage de mer et du ciel. Lorsque le peintre se plonge dans son œuvre, des eaux émergent de son pinceau et envahissent la salle du palais impérial. Traçant alors un canot, Wang-Fô s’y embarque avec son disciple, Ling, et tous deux disparaissent dans la toile. L’analyse de cette fin peut certes faire appel à la puissance de l’art qui triomphe même sur la mort, et aussi ouvrir la discussion sur la relation entre l’art et la réalité ; mais il y a une histoire dans l’histoire qu’il ne faut pas négliger car elle a une valeur thérapeutique, et c’est celle du disciple discret de Wang-Fô, Ling. Ling est issu d’une famille aisée « où la richesse éliminait les hasards », famille au sein de laquelle il a été surprotégé. Cette éducation ouatée, dépourvue d’émotions, l’a rendu si craintif que même devenu adulte, il tremble devant les éclairs et fuit à la vue des insectes. Wang-Fô le rend sensible à la forme grandiose et aux couleurs subtils de l’éclair, et lui permet de s’émouvoir en observant la démarche hésitante en zigzag des fourmis. La transmission de sa philosophie et « le cadeau d’une âme et d’une perception neuves » que lui a offert le vieux peintre, permettent à Ling d’introduire l’imaginaire dans sa vie et ainsi sortir d’une situation d’impasse où la banalité d’une vie dictée par les conventions sociales l’avait poussé. Il peut alors s’apercevoir de sa propre subjectivité et ce processus permet à Ling de guérir de ses angoisses.

Tel peut être l’impact guérisseur de l’art.

La médiation culturelle qui met en lien les sphères culturelles et sociales et dont les acteurs culturels ont pour mandat d’offrir à un public le plus diversifié possible et parfois marginalisé, l’accès aux lieux culturels, favorise

l’apprentissage et la compréhension des pratiques artistiques ainsi que les relations interpersonnelles. Le cheminement du disciple Ling attire l’attention sur d’autres bienfaits de la médiation culturelle, en particulier celui d’être un catalyseur de la relation entre l’œuvre d’art et les émotions et l’histoire que l’on projette sur elle. En rendant attentif, par exemple, le visiteur d’une exposition à l’écho de sa propre histoire contenue dans un tableau, le conservateur d'un musée peut devenir le guide de ce bien éternel qu’un empereur chinois envia à un artiste avec des pulsions meurtrières « tes yeux, Wang-Fô sont des portes magiques qui t’ouvrent ton royaume », et sur cet empire-là, qui est un remaniement en profondeur de la structure de la pensée, jamais aucun soleil ne peut se coucher. La médiation culturelle peut ainsi devenir un partenaire précieux dans des thérapies qui en fin de compte sont des avatars d’une médiations à soi. 

Tel peut être l’impact thérapeutique de l’art.

Intégrer l'art dans la politique de soins

Depuis le début du 21ème siècle, il y a eu une recrudescence de recherches menées sur l’impact de l’art sur la santé mentale et physique ainsi que sur le bien-être; cette recrudescence est le fruit d’un développement des pratiques de soins et des décisions politiques dans différents pays visant à promouvoir la place des arts dans les soins. En 2019, conscient de l’intérêt croissant pour l’art par le monde médical et constatant le manque de vision globale, de clarté sur les domaines de soins concernés et d’indices d’efficacité, l’OMS s’est intéressée à évaluer l’impact de l’interface du monde des arts sur celui des soins, en publiant une étude intitulée : « What is the evidence on the role of the arts in improving health and well-being? »5.
Cette étude est une méta-analyse et une méta-synthèse de la littérature scientifique s’échelonnant de 2000 à 2019 et qui couvre plus de 3700 publications en langue anglaise et russe. L’objectif de ce rapport de l’OMS étant de promouvoir d’une manière plus systématique le développement de mesures politiques et économiques soutenant la mise en place de pratiques médicales incluant le monde artistique. La conclusion du rapport de l’OMS est que l’art a un impact clair et significatif sur la santé tant psychique que physique, et ce, dans la prévention, la gestion et le traitement des maladies. Avant de détailler ces conclusions, je souhaiterais les étayer avec des exemples de pays où ces pratiques sont implantés avec des stratégies différentes et impliquant des populations diverses.

En Finlande, il existe une longue tradition d’intégrer l’art, dès les années de maternelles et tout au long du cursus scolaire obligatoire comme branche majeure. Derrière cette politique, il n’y a non seulement le souci de permettre à une plus large partie de la population de bénéficier de l’expression artistique et de maitriser des techniques artistiques ou un instrument de musique, mais une volonté politique de prévention sociale et de la santé. Plusieurs études ont démontré le rôle important de la pratique des arts pour tisser et promouvoir une meilleure cohésion sociale, et ont aussi mis en évidence que des sujets s’engageant dans une activité artistique auront plus tendance à mener une vie plus saine, en pratiquant parallèlement une discipline sportive et en ayant une meilleure attention à leur nutrition, et ce, tous statuts socioéconomiques confondus.
Un tel choix politique entraine cela va sans dire un bien-être individuel et rehausse les compétences culturelles d’une société, mais aboutit également à un gain économique. De plus, un impact bénéfique direct non négligeable sur le système scolaire a pu être observé : amélioration du climat d’apprentissage et d’enseignement avec à la clé un meilleur taux de réussite scolaire et une nette diminution de la prévalence de phobies scolaires ou d’autres types de souffrances psychiques et émotionnelles liées à l’école (eg harcèlement). Dans le souci de maintenir un cercle social vertueux, les activités artistiques ont été étendues aux enseignants du cycle primaire et secondaire.

L’apprentissage de la musique, chant ou instrument, en aiguisant la discrimination des sons permet une meilleure acquisition du langage et de la lecture. L’introduction de l’art théâtral soutien également le langage à travers une communication verbale. Tout comme ces expressions artistiques, la danse éveille et stimule l’attention dans la durée. Les résultats de divers recherches menées au sein de la population scolaire montrent une nette réduction de symptômes anxieux et de peurs chez des enfants souffrant de troubles de l’apprentissage (dyslexie, dysorthographie, et dyscalculie) ou d’un handicap du développement. Une étude a mis en évidence une amélioration de la perception émotionnelle chez des enfants portant un implant cochléaire dans le cadre de leur surdité, et une autre, une nette baisse de l’agressivité envers soi ou les autres dans les stratégies de communication employées par des adolescents malvoyants.

L'apport des neurosciences

Les neurosciences ont pu soutenir ces résultats en démontrant par imagerie médicale, une stimulation de la matière blanche et grise du système nerveux central, ainsi qu’une augmentation du volume de l’hippocampe (centre responsable de l’attention et de la mémoire), chez de enfants engagés dans une activité artistique. Les neurosciences ont aussi mis évidence que les niveaux des molécules biochimiques responsables de la croissance et de la survivance des neurones étaient non seulement maintenus mais aussi stimulés. La pratique des arts a démontré une amélioration aux stimuli auditifs et visuels.

Une autre étude qui a eu lieu au sein d’établissements médicaux sociaux s’occupant de personnes âgées en Angleterre, soutien les découvertes mis en évidence en Finlande : la mise en place de visites régulières, à savoir tous les deux, trois mois au théâtre, au musée, ou à l’opéra, ont diminué la vitesse de la péjoration cognitive dans les démences, et a également diminué la prévalence de ces derniers. Mais revenons à la Finlande où les études menées en milieu scolaire ont largement soutenu le rôle des arts dans une meilleure réussite scolaire non seulement due à l’entrainement cognitive (attention, mémoire) mais également à un impact significatif sur la persévérance, les motivations et les désirs, ainsi que sur l’estime et la confiance en soi à travers la reconnaissance et l’appartenance aux pairs.
Fort de cette expérience, le gouvernement finnois a mis sur pied en 2017 un projet financé conjointement par le ministère de l’éducation et celui de la culture, intitulé : « Access to art and culture »6 qui cherche à implanter le plus efficacement possible les arts dans les programmes scolaires. Des recherches inter-facultés menées par les universités de Helsinki et de la Laponie se centrent sur les questions de santé, de bien-être et des bénéfices plus larges qui peuvent être atteints par le biais de ce programme. Ce dernier fait d’ailleurs parti des programmes européens qui réunissent d’autre pays de l’union où les arts sont déjà implantés dans les milieux des soins et le système scolaire.

Il y a des pays où l’art est utilisé dans des soins aigus. En Irlande, l’opération « Open Windows » est une plateforme virtuelle élaborée par des vidéastes, qui est destinée à des patients atteints de leucémie. Ces patients doivent en raison de soins exigeants, souvent dans le cadre d’une transplantation de la moelle osseuse, rester de longues périodes en isolement strict. Une installation montée à partir de photos personnelles du patient, de vidéos existantes ou des montages crées ensemble par les artistes et les patients, est projetée selon les désirs de ces derniers sur les murs de l’espace de soins. Une télécommande permet l’accès à neuf chaines, chacune couvrant un thème différent. Ce programme qui n’enfreint pas les règles rigoureuses des protocoles médicaux et d’hygiène, intègre aussi les équipes soignantes.
Les résultats des recherches menées autour de ce projet ont mis en évidence une meilleure acceptation de la maladie et des soins qui sont douloureux, longs, et pesant au niveau psychique. Une nette diminution de l’anxiété et des symptômes dépressifs a pu être observée, et à un niveau physiologique, une amélioration et stabilité des constantes cardiovasculaires et respiratoires. Les patients qui ont bénéficié du programme ont également fait part d’une diminution du sentiment d’isolement et d’aliénation. Cet apport positif du projet artistique a été mesuré jusqu’à soixante jours après le retour à domicile des patients.

A travers la lecture du rapport de l’OMS, j’ai aussi appris (avec une certaine envie!) qu’en Grande-Bretagne, cela fait plus de vingt ans que les médecins peuvent prescrire à leurs patients un soin intitulé « Arts on Prescription ». Cette ordonnance permet de bénéficier de divers ateliers artistiques mis sur pied par des artistes locaux. Les budgets alloués pour ces ateliers proviennent conjointement du département de la culture (Arts Council) et des services de la santé publique (National Health Service) et leurs indications sont multiples, allant des souffrances psychosociales (20 à 30% des consultations dans des cabinets médicaux de premiers recours sont des souffrances essentiellement sociales) à la gestion de maladies chroniques et invalidantes. Ainsi, les danseurs du English National Ballet et du Scottish Ballet ont crée l’association « Dance for Parkinson’s Disease ».
La maladie de Parkinson est une maladie neurologique chronique dégénérative affectant le système nerveux central, et provoquant des troubles progressifs des mouvements, sous forme de rigidité et de tremblements, puis des troubles cognitifs. Participer régulièrement à ces ateliers de danse a permis à ces patients d’améliorer leur équilibre, leurs mouvements moteurs tels que la marche et la motricité fine avec des répercussions nettes sur le maintien de leur autonomie. Ils ont aussi fait part d’une consolidation de leur confiance en soi et la diminution de symptômes dépressifs souvent associés avec la maladie de Parkinson.
A relever aussi que durant la pandémie de la COVID-19, les cantatrices et chanteurs de l’English National Opera (ENO), se retrouvant devant les portes closes de leur théâtre, ont eu l’idée d’utiliser leur art et leurs compétences pour venir en aide aux patients souffrant de séquelles post-infection de la COVID-19, se manifestant sous forme de dyspnée et de symptômes anxieux associés. Le programme « ENO Breathe » mis en place en collaboration avec des spécialistes en pneumologie de l’Imperial College de Londres, se focalise sur la respiration et le bien-être en utilisant des techniques du chant. Les séances de vocalise et de chant qui se déroulent par visioconférence, ont lieu de manière hebdomadaire sur une durée de six semaines. Une brève étude effectuée sur les premiers participants a mis en évidence que 90% des patients déclarent que le programme « ENO Breathe » a eu un effet très positif sur leur difficultés respiratoires, et 91% sur leurs symptômes anxieux et bien-être.

A cela s’ajoute outre le plaisir de chanter, l’assurance de pouvoir gérer de manière autonome ces symptômes sans avoir recours aux médecins généralistes, soulageant de ce fait les services de soins de proximité. Développé en novembre 2020, ce programme s’étend désormais à tout le pays.

Toutes ces collaborations entre le monde des arts et le monde médical sont emblématiques des conclusions du rapport de l’OMS. En effet, cette dernière conclut qu’il faut non seulement promouvoir des mesures politiques et économiques associant le savoir-faire des arts dans les soins, mais encourage aussi les artistes à reconnaitre leurs potentiels, d’intégrer dans leur travail les stratégies pour maintenir la santé et de sensibiliser la population de ce rôle qui est aussi le leur.

Culture en crise

Il aura suffi durant l’hiver 2020 qu’une particule infinitésimale parcourt nos réalités pour que les portes des musées, des théâtres, et des cinémas se ferment d’un coup sec. Claque ! Seuls les biens (sic !) essentiels seront autorisés, nous a-t-on claironné. Quand est-ce que les arts ont passé la frontière du « non essentiel » ? je l’ignore. En fait, j’ignorais que les arts étaient un bien de consommation. Pourtant, cette réalité-là, Hannah Arendt nous l’avait décrite dans son ouvrage « La crise de la culture »7. La société de consommation de masse en intégrant toutes les couches de la société, empêche selon l’auteure, les révolutions, l’art, et les pensées nouvelles, et de qui plus est, considère tout objet comme un produit de consommation. L’art n’échappe pas à cet asservissement en devenant une monnaie d’échange pour acquérir une position sociale, et ayant été estampillé d’une valeur marchande perd son pouvoir ancestral de nous interroger et de nous émouvoir. Pire, l’art se perd dans les méandres des produits nécessaires aux loisirs, c’est-à-dire à ce temps « libre » dans nos vies rythmés par le seul travail. Le virus de la COVID-19 a été un catalyseur de certains clivages de notre société, et le fait que nous considérons l’art comme un passe-temps et un divertissement fut une secousse qui résonne encore dans mon être.

Panser avec l’art

Alors, comment réintégrer cette « force de la Nature » comme l’a baptisé Nietzsche8, ce souffle de Dionysos dans son essence vitale ? Je pense que c’est en se rappelant de nos traditions culturelles qu’on pourra renouer l’art avec son potentiel de métamorphoses et l’une de ces manières est de veiller à la tradition cathartique de l’art en l’intégrant dans nos politiques de soins. Travaillant comme psychiatre au sein d’un cabinet de premier recours tout au long de cette crise sanitaire - où les consultations non seulement des psychiatres mais également des psychologues, des ergothérapeutes, et des physiothérapeutes en approche corporelle, ont été prise d’assaut plus qu’à l’ordinaire - le manque des partenaires en soins que sont les artistes s’est fait pour ma part plus cruellement ressentir. On aurait pu avec leur aide, non seulement optimaliser la gestion des crises psychiatriques aiguës, mais également proposer aux patients des soins plus pertinents. La COVID-19 aura aussi été révélateur d’une souffrance psychosociale longtemps refoulée, que la plupart des personnes ne pourront plus taire. En ayant arpenté depuis des décennies les salles de théâtres et de concerts de nos régions, ainsi que participé aux médiations et aux visites guidées de nos musées, je suis certaine que des projets de collaboration interdisciplinaires renouant avec le plaisir d’être vont germer et que même quelque part, ils sont déjà devenus des arbustes qu’on peut d’ores et déjà planter.


1 Wiesing, Urban et Parsa-Parsi, Ramin, L’Association médicale mondiale a révisé la Déclaration de Genève, Bulletin des Médecins Suisses-Schweizerische Ärztezeitung-Bollettino dei Medici Svizzeri, 2018;99(8): pp247-249

2Sami Ali, Le Rêve et l’Affect. La psychosomatique relationnelle. Paris: Psychologies des Interactions, éditions de l’Harmattan, 2016

3Sami Ali, Le Banal. Paris: Connaissance de l’Inconscient, éditions Gallimard, 1980.

4Yourcenar, Marguerite, Nouvelles Orientales, L’Imaginaire Gallimard, 2006

5World Health Organization-regional office for Europe, Measurement of and target-setting for well-being : an initiative by the WHO Regional Office for Europe, Second meeting of the expert group, Paris, France, 25-26 June 2012.   https://www.euro.who.int (consulté le 31.03.2021)

6Fancourt, Daisy and Finn, Saoirse, World Health Organization-regional office for Europe, What is the evidence on the role of the arts in improving health and well-being ? A scoping review, Health Evidence Network synthesis report 67, (2019), ix + 133 pages 

7Hannah Arendt, La crise de la culture, Folio essais, éditions Gallimard, 1972

8Nietzsche Friedrich, La Naissance de la tragédie, nouvelle édition, Les Classiques de la Philosophie, le Livre de Poche, 2013