«Challenging the dominant discourse», tel devrait être le thème de la première table ronde de PARTOUT, grand rassemblement d’artistes de performance du monde entier, circulant début octobre entre l’Arsenic et la Kaserne de Bâle. La question de la représentation socioculturelle sur les scènes, urgente en ce moment, y rejoint en effet les questions identitaires typiques à la performance et à la danse. Mais quels discours nos institutions portent-elles réellement? Et par qui sont-ils portés? En quoi cherchons-nous à déplacer et à diversifier nos publics en leur apportant des discours différents de leurs croyances, plutôt qu’à flatter leur identité commune, fut-elle bien-pensante et altruiste? Confronter ou conforter? Quoi qu’il en soit, ce qu’on attend de l’acte artistique est résolument de l’ordre du déplacement que de l’immobilisme satisfait.

La parole d’une communauté parvient parfois, dans nos institutions, à ébranler les certitudes des lieux communs, de la même manière que la sensibilité d’un individu magnifiquement inadapté arrive à y secouer celles de ladite communauté. Le mandat du directeur d’institution publique tient alors de l’équilibrisme entre la curiosité enthousiaste, le doute permanent, la méfiance du prêt à penser et les ambitions de succès pour les artistes programmés. Il faut dire que beaucoup d’enjeux de la société contemporaine se jouent à travers ce précieux mandat: alors que les storytellings de l’entertainment mondialisé – désormais gonflés à l’intelligence artificielle – travaillent la manipulation des désirs afin de vendre in fine le dernier iPhone autant que les guerres au Moyen-Orient, il y a un vrai enjeu de service public à questionner inlassablement ces faux récits, ces illusions narratives dominantes, basées sur la confiscation des ressources et des esprits, en donnant la parole ou le geste aux dominés, aux fous, aux rebelles, aux freaks, aux incorrects, aux irréalistes et autres perdants.

En cette période de relance, la culture est un facteur important de développement économique, cela a été démontré de nombreuses fois. Mais il ne suffira pas de réactiver la consommation pour dissiper cette impression de mauvaise gueule de bois qui subsiste après un confinement où certains ont cru qu’il suffisait de rester dans son salon pour participer aux indispensables changements écologiques et sociaux. L’urgence d’envisager de nouvelles manières sensibles de penser le monde n’a jamais été aussi grande, aussi vitale à tous les secteurs d’activité. Il est alors temps pour nous, secteur culturel, d’accompagner notre retour de nouvelles ambitions. Envisageons l’art et les cultures non pas en périphérie des activités politiques, mais bien au centre de leurs inspirations! Et, plutôt que de nous demander comment nos secteurs de médiation vont essayer de diffuser de manière prosélyte nos grands mythes éculés à des populations multiples, changeons la matière même de ce que nous présentons, remettons en jeu nos croyances et travaillons réellement à cette union des poètes et des exclus! Car ce n’est pas à nous de les sauver, c’est eux qui peuvent encore nous tirer d’affaire.