Dinamarca au Bourg durant La Fête du Slip 2019 © Arsène Marquis / La Fête du Slip

Les clubs devraient avoir accès à des aides d’urgence pour passer la crise

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Comme dirait l’autre, la question a été trop vite répondue : dès le début de la pandémie, il a été décidé que les clubs ne seraient pas compris dans les aides culturelles. Quand on aborde la question, le débat tourne souvent court : qu’y a-t-il de culturel, entend-on, à passer YMCA à un public sous gin and tonic à 4h du matin ? Les tenanciers·ères de clubs elles·eux-mêmes, parfois, habitué·e·s aux attaques souvent ignorantes, élitistes ou moralistes, tentent dans leur argumentaire de valoriser leurs activités artistiques, les distinguant de leurs autres activités supposées uniquement commerciales – souvent cette discussion prend une drôle de tournure, distinguant les musicien·ne·s des DJs, par exemple, comme si l’instrument utilisé – Technics ou CDJs contre guitare ou batterie – avait quelque chose à voir avec la valeur de l’acte artistique.

De mon côté, Chris and Cosey, Coldcut, Aphex Twin, 4Hero, Carl Craig, Mira Calix, Andrea Parker, J Saul Kane, Andrew Weatherall, Josh Wink, Ellen Allien, Peaches, Thomas Brinkmann, I-F, Actress, Flying Lotus, Zomby, Rashad, Arca, Nguzunguzu et autres Marfox ont compté de manière primordiale dans mon éducation artistique – ce qui vous donne d’ailleurs une idée de la durée de ma passion pour ces musiques. Quelle leçon que d’avoir pu assister aux sets des Masters at Work ou du On-U soundsystem au MAD, de Carl Craig, Jeff Mills, Grooverider, Matthew Herbert ou Patrick Pulsinger au Loft, Gilles Peterson, les débuts de Kruder et Dorfmeister ou tant d’autres à la Dolce Vita, Q-Bert, Kalkbrenner ou Justice au D!Club. Et assister par exemple au milieu des années 90, au succès de l’équipe suisse des Five Star Galaxy en résidence au prestigieux Blue Note de Londres, ou à celui de Mandrax, Luciano, Oliver, Plastique De Rêve, Sebb Bash, Mirko Loco, Sébastien Kohler, Kalabrese, Sonja Moonear, Gregorythm, Larytta ou plus récemment celui de Aisha Devi, Verveine ou Bonaventure par exemple (il y en a tant d’autres – j’essaie de choisir des noms qui parleront de manière un peu large, mais non, n’insistez pas, je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai été émerveillé par Robert Miles – encore que je me souvienne du clip de Children tourné sur les routes de La Côte – ou par DJ Bobo…).

Que de souvenirs marquants dans cette scène clubbing suisse, mais au fond, la réflexion ne devrait-elle pas, en ce moment, s’abstenir de ces jugements qualitatifs ? Prenons les cinémas : en termes d’aides d’urgence pour le coronavirus, faisons-nous une différence entre ceux qui passent Les Tuches 4 ou une rétrospective Jean-Luc Godard ? Faudrait-il aussi éplucher scrupuleusement la programmation pour aider certains festivals estivaux ? Pouvons-nous vraiment établir des critères purement artistiques pour juger des détails du sauvetage de toutes les programmations théâtrales ? Faudrait-il tenir compte du pourcentage de compositeurs vivants dans les œuvres jouées par les orchestres afin de les aider ? Non : ces questions, importantes quand il s’agit d’attribuer des subventions, n’ont pas leur place ici : en termes d’aides d’urgence aux entreprises culturelles, la survie de l’essentiel des activités de tous les secteurs, dans leur diversité, est le but.

Or il est temps de l’affirmer haut et fort : en matière de culture, le clubbing fait partie de notre famille, assurément ! Sans lui, pour prendre les exemples les plus évidents et les plus directs, pas de danse hip hop, pas de disco, pas de voguing, pas de Berrettini, moins de Furlan, peut-être pas d’Alexandra Bachzetsis, de Nils Amadeus Lange, de Jeremy Nedd, de Pipilotti ou de Pauline Boudry. Nous l’avons lu dans la presse et entendu de la part de leurs acteurs·trices : ces entreprises culturelles sont en grand danger. Nous aurions énormément à perdre de l’anéantissement du dynamisme qu’elles apportent au réseau artistique local. Elles méritent d’être aidées au même titre que celles des arts plus institutionnels, indépendamment de leur modèle économique potentiellement lucratif – les autres types de lieux culturels privés, cinémas, agences, festivals, sont aussi inclus dans les aides. Alors laissons tomber – au moins le temps de la crise - les différence entre nos médiums de création, les querelles entre analogiques et numériques, alternatifs et institutionnels, commerciaux et non profit, pour affirmer notre appartenance à la même famille certes bigarrée : toutes les cultures, interdépendantes, empêchées aujourd’hui, indispensables demain, doivent être aidées à traverser cette urgence.