Nouvelle norme numérique

En plein développement avant la pandémie, la numérisation de la culture s’est accélérée durant la crise. Sa partie la plus visible, le streaming, est désormais une habitude pour environ deux tiers de la populatione.

Elvire Akhundov, rédactrice

Certes, le streaming n’est pas nouveau. L’offre date d’avant la crise Covid-19 et coexistait déjà avec la culture en présentiel. Jürg Ruchti, directeur de la Sociétésuisse des auteurs (SSA), observe néanmoins que la pandémie « a été un catalyseur de la consommation d’œuvres par le biais du streaming ». Les offres se sontmultipliées, la population s’y est habituée. Des chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) portant sur 2023 confirment ce constat. Alors que 65 % de lapopulation helvétique a déjà écouté et téléchargé de la musique en ligne, 68 % a téléchargé ou regardé des films ou vidéos sur un smartphone, un ordinateur ou unetablette.

Cette évolution suscite une inquiétude légitime : les lieux culturels vont-ils perdre – voire ont-ils déjà perdu – leurs publics ? La réponse est nuancée. Au cœur de lacrise sanitaire et à sa sortie, le théâtre semblait concerné par ce phénomène, car les spectateur·rice·s achetaient moins d’abonnements. Un état de fait dû aux tropfréquentes annulations des prestations, explique Thierry Luisier, secrétaire général de la Fédération romande des arts de la scène (FRAS). Pourtant, on a constatéune reprise très rapide de la fréquentation des salles de spectacle à leur réouverture. « Même durant la période Covid, le théâtre n’a que rarement été numérisé »,poursuit Thierry Luisier. Cette forme d’art étant l’une des expressions culturelles les plus dynamiques, chaque représentation constitue une interprétation unique, uneinteraction avec le public; elle se prête donc peu au streaming. Reste que dernièrement, sa présence sur les réseaux sociaux s’est intensifiée, notamment à des finsde communication. « Les extraits d’humoristes marchent par exemple bien. »

Près de 90 % de streaming musical

Dans le domaine de la musique, en revanche, l’écoute via streaming s’est imposée. Selon les chiffres 2023 de la faîtière des labels suisses IFPI, le streaming aumoyen de services tels que YouTube, Apple Music ou Spotify contribue désormais à hauteur de 88 % au marché musical national. « Les plateformes comme Spotifypermettent aux auditeur·ice·s de découvrir des artistes, d’avoir un accès facilité au son », relève David Michaud, chef de projet jazz auprès de l’Association suisse demusique Sonart. Dans ce secteur, l’inquiétude concerne plus particulièrement la rémunération des artistes, le streaming ne générant presque pas de revenus.Désormais, les musicien·ne·s gagnent leur vie essentiellement grâce aux concerts. Le streaming complète donc l’offre culturelle mais ne peut et ne doit en aucun casremplacer l’expérience en « live ».

Du côté de l’audiovisuel aussi, les évolutions numériques ont chan- les habitudes de consommation en profondeur. « La télévision linéaire classique a quasiment été abandonnéeau bénéfice du streaming », fait remarquer Jürg Ruchti. Le cinéma, lui, ne s’est pas encore pleinement remis de la crise, la fréquentation des salles en 2023 se situant encore 16 % endessous de celle de 2019 (voir aussi en page 10). Face aux riches possibilités du streaming, les salles obscures doivent se démarquer et faire en sorte qu’une virée au cinéma reste unévènement. Cette stratégie semble fonctionner, comme en témoigne le succès des festivals ou rétrospectives. Et même si la fréquentation globale n’a pas encore retrouvé son niveaud’avant-pandémie, « le public semble avoir retrouvé le chemin des salles », se réjouit Jürg Ruchti.