Sept villes et un canton forment la « Cité Valais »

Numéro 14 – Juin 2007

Le canton du Valais est composé de sept villes, dont la population n’excède pas les 30’000 habitants. Comment, dans ce contexte, coordonner offre et politique culturelles ? Comment communes et canton se répartissent-ils les rôles ? Et les artistes, comment ressentent-ils ces particularités ? Pour répondre à ces questions, CultureEnJeu donne la parole à trois acteurs culturels œuvrant dans des secteurs différents : Jacques Cordonnier, directeur du Service de la culture du canton du Valais et de la Médiathèque Valais, André Pignat, metteur en scène, compositeur et cofondateur du Studio Théâtre Interface à Sion, et Christian Nanchen, directeur adjoint du Service cantonal de la jeunesse et conseiller communal en charge des Dicastères de la culture et de la sécurité de la Ville de Sierre.

Y a-t-il un véritable centre valaisan urbain de la culture ?

Jacques Cordonnier : Sur 100 km, de Brigue-Naters à Monthey-Collombey, les villes valaisannes, fortes d’une population de 8’000 à 15’000 habitants – aucune ne dépasse les 30’000 –, constituent une chaîne qui ne permet guère l’émergence d’une « ville centre culturel ». Chacune a développé des spécialités, pour certaines des points forts qui rayonnent au-delà du canton. À l’avenir, si l’on en croit les projections des aménagistes, ces villes et l’ensemble des localités de la plaine du Rhône constitueront un « réseau urbain » dans lequel, aujourd’hui déjà, vivent plus des deux tiers de la population valaisanne. Dans ce contexte, l’enjeu pour les villes est donc de diversifier encore davantage leur offre culturelle les unes par rapport aux autres, de se positionner tout en se concertant afin que les Valaisans prennent l’habitude de se déplacer dans cet espace comme dans une « Cité Valais » pour assister à une représentation de théâtre à Monthey ou à Sion, à un concert aux Caves du Manoir à Martigny ou à la Poste de Viège, ou découvrir une exposition d’art contemporain au FAC à Sierre.

Genève et Lausanne donnent le « la » de la politique culturelle de leur canton. Qu’en est-il du Valais ?

L’absence de ville centre a pour conséquence qu’aucune ne donne le ton. En revanche, on observe de plus en plus que les villes ont l’ambition d’assumer leur leadership régional en matière culturelle. Il est significatif que la plupart d’entre elles se soient dotées d’un délégué communal à la Culture : Martigny l’a fait l’an dernier et la création d’un tel poste vient de faire l’objet d’un débat largement favorable au législatif sédunois. Les villes démontrent ainsi qu’elles sont conscientes de la nécessité de professionnaliser la gestion culturelle publique. À l’exception de Bagnes qui, alliant un fort potentiel touristique et un intérêt marqué pour son patrimoine, s’est doté d’un responsable culturel communal, les autres communes du canton n’on pas encore pris ce chemin.

Quels sont les rapports entre la politique culturelle des villes et celle du canton ?

La loi sur la promotion de la culture répartit les rôles de la manière suivante : au canton la tâche prioritaire du soutien à la création artistique et au patrimoine culturel cantonal ; aux communes la responsabilité première de l’animation et du patrimoine local. Cependant, l’enjeu sera celui de la coordination de l’offre culturelle au sein de la « Cité Valais ». La mise en place d’une conférence des responsables culturels communaux, en collaboration avec le canton, pourrait y contribuer en sachant qu’elle se situera dans un champ de tension entre un positionnement fort de chacune des villes/régions et la concertation. Le travail reste à faire, mais le Conseil d’État valaisan dans la politique d’encouragement culturel qu’il vient d’adopter s’est fixé entre autres objectifs le renforcement de la collaboration entre les communes et le canton.

Serait-il souhaitable de créer une unité de ressources financières pour donner plus d’ampleur aux projets culturels ?

Je ne souhaite pas importer un débat genevois en Valais ! Il me semble néanmoins important de maintenir des sources diversifiées de financement. L’ampleur peut être donnée aux projets culturels par une collaboration des mécènes sans qu’ils ne se réduisent à un seul pourvoyeur de fonds. Dans le respect des rôles et des capacités de décision de chacun, une telle concertation existe d’ailleurs depuis plusieurs années entre le Département de l’éducation, de la culture et du sport et l’organe de répartition valaisan de la Loterie Romande qui, en Valais davantage qu’ailleurs, demeure de loin le mécène culturel le plus important. En revanche, on doit probablement réfléchir à des modèles régionaux de financement de la culture, comme cela se fait depuis une génération dans le secteur social.

Comment les centres culturels comme Interface, les théâtres et les artistes vivent-ils cette situation ?

Ils vous parleraient mieux que moi de leur perception. Pour ma part, j’observe que la plupart de ces lieux sont en phase de développement et sont porteurs d’un énergie très forte, de passions, de projets et que, contrairement à des cantons avec une plus longue tradition culturelle, ils ne vivent pas à l’ombre de grands frères ou sœurs installés dans la place depuis longtemps. Ils font énormément avec des moyens limités, parce qu’ils sont porteurs de projets forts. Ils ont pour beaucoup cette énergie que nous donne l’état amoureux et mon admiration est grande pour le courage des choix artistiques et de vie qu’ils font. À leur égard, les responsables du mécénat public doivent à la fois songer au fait qu’il conviendra prochainement de consolider les efforts pour donner à ces projets, s’ils en ont la qualité, la pérennité nécessaire. Ceci signifiera des moyens financiers supplémentaires et des critères d’évaluation pour faire des choix.

Nous sommes à l’époque de « la transhumance » : des artistes valaisans sont actifs tant dans leurs terres d’origine qu’à l’extérieur

Avez-vous l’impression que beaucoup d’artistes quittent le Valais ?

Le Valais a une relation forte avec la notion du dedans et du dehors. Dans l’histoire culturelle de ce canton, il y a d’abord les écrivains, les artistes venus de « l’extérieur » attirés qui par sa lumière, ses paysages ou sa population. Puis il y a eu les Valaisans qui, trop à l’étroit en Valais idéologiquement tout autant qu’économiquement, ont choisi de quitter leur canton d’origine pour aller exprimer leur art ailleurs. Nous sommes aujourd’hui à l’époque de « la transhumance », c’est-à-dire des artistes d’origine valaisanne qui sont actifs tant sur leurs terres d’origine qu’à l’extérieur. Ceci est très visible pour le domaine du théâtre, mais également dans la musique, l’écriture ou d’autre secteurs. Cette transhumance peut-être suscitée – et il faut reconnaître qu’elle l’est fréquemment – par des raisons économiques, mais également pour d’autres motifs. Il serait très difficile d’envisager que chaque artiste puisse développer uniquement son art en Valais.

De plus en plus, les villes ont l’ambition d’assumer leur leadership régional en matière culturelle

L’ambition doit être davantage de développer les possibilités pour qu’ils puissent le faire le plus souvent possible tout en encourageant les échanges avec les artistes « invités » en Valais, notamment dans les deux, bientôt trois, résidences que le canton finance.

Quels sont les domaines culturels que vous souhaiteriez développer davantage et qui vous semblent déficitaires en Valais ?

On a longtemps caricaturé la vie culturelle du Valais comme étant limitée aux fanfares. De ce phénomène, tout autant social que culturel, ce canton a développé une excellence largement reconnue au plan international dans le monde des brass-band. D’une recherche de la virtuosité et de performance, il est passé, dans ce domaine, à des formes d’expression et de sensibilité renouvelées. Pensons également au métissage que des musiciens tels que le percussionniste Christophe Fellay ont su tirer de ce terreau. Voilà une force « historique » et elle vient de loin, elle a nourri également toute une génération de musiciens professionnels que vous retrouvez dans de nombreux ensembles à travers la Suisse et l’Europe.

On constate ainsi qu’à une pratique amateure très large et qui se maintient, est venue s’ajouter une pratique professionnelle faite d’exigence et de créativité. Ceci est également en passe de se développer dans le domaine du théâtre. À travers le programme particulier de soutien à la création théâtrale professionnelle, ThéâtrePro-Valais, le canton et l’organe cantonal de répartition de la Loterie Romande souhaitent accompagner et encourager l’émergence d’une pratique théâtrale professionnelle qui s’affirme depuis quinze ans environ. Des objectifs et des critères précis ont été fixés à ce projet qui est accompagné par une commission de professionnels, valaisans et non-valaisans, qui conçoit son travail non seulement comme étant celui d’un organe de subventionnement, mais comme un accompagnateur du processus, chaque projet étant « coaché » par deux de ses membres. Ce modèle pourra inspirer d’autres dispositions de soutien dans le futur.

Dans d’autres secteurs, je pense aux arts plastiques ou à littérature, il convient de développer et de soutenir les relais qui permettent de renforcer la reconnaissance et la légitimité artistique des créateurs. Cela passe par un renforcement de la professionnalisation de ces structures. Directeur du Service de la culture du canton du Valais et de la Médiathèque Valais.