Aventures et mésaventures éditoriales
Le domaine de l’édition est un tout petit monde
Nous l’avons vu, il y a très peu d’acteurs. Quelques dizaines dans chaque profession respective, en Suisse romande. Mais il peut mobiliser les foules. Par exemple, au Salon du Livre à Genève (que j’ai fondé et dirigé pendant 23 ans, avec ses environ 100’000 visiteurs chaque année) et au Livre sur les quais de Morges. C’est dire que par bonheur il nous reste des lecteurs, souvent passionnés. Ils sont bien sûr attachés à des grands auteurs français, mais aussi à ceux de notre région.
En proportion de la population, en fait, nous vendons ici bien plus de livres qu’en France, même s’ils sont plus chers… Les succès sont, chez nous, quantitativement peu impressionnants, mais comparativement absolument fantastiques.
Pourquoi donc faisons-nous ce métier ? Ci-contre, j’expliquais que le domaine n’est guère rentable. La réponse est donc, simplement, la passion. D’abord, il faut aimer l’objet livre. Un ouvrage, c’est une sorte de perfection. Un condensé de noble matière, d’esthétisme, de révélation, de rêve, d’informations, etc.
Ensuite, derrière chaque livre, il y a un auteur. Ils sont souvent extrêmement intéressants ! Ils deviennent, généralement, des amis ! Il y a des écrivains de toutes sortes : des auteurs d’un seul livre et d’autres qui sont incroyablement productifs. En France, un petit nombre d’écrivain publie un livre par an. Pour d’autres, on attend des années pour qu’arrive enfin leur prochain bouquin.
Le plaisir pour un auteur est aussi d’être traduit en plusieurs langues.
Un écrivain c’est aussi un caractère, pour ne pas dire dans quelques cas un caractériel ! Il y a ceux qui « pondent » à une vitesse grand V, comme à l’époque Georges Simenon, et d’autres perfectionnistes qui ont besoin de refaire et refaire ce qui devient leur pensum. Les manuscrits anciens en témoignent : il y a souvent plus de mots et de phrases raturés plutôt que préservés.
Bien sûr, l’ordinateur a complètement effacé ces belles traces d’une époque. Et aujourd’hui, quand un auteur travaille sur tel ou tel sujet, internet lui permet d’obtenir immédiatement une documentation d’une richesse considérable.
Évoquons au passage le cas des livres écrits par des « nègres ». On parle en anglais de ghost writers, ce qui est une assez jolie expression. On le sait, un certain nombre de gens sont prompts à signer un livre dont ils n’ont pas écrit la première ligne. Il y a eu entre autres Sulitzer, on le dit de Marek Halter et bien d’autres encore. Bon nombre d’écrivains ont pour le moins ce qu’ils appellent des documentalistes. Ces gens peuvent faire un travail considérable de préparation, l’auteur n’intervenant que pour « saucer » cette tâche de base. Presque de la cuisine dans certains cas !
Par bonheur il nous reste des lecteurs, souvent passionnés.
Le plaisir pour un auteur est aussi d’être traduit en une ou plusieurs langues. Nombre de mes auteurs ont vu leur livre sortir en allemand ou en anglais. Certains ont eu droit au Japonais, au Coréen, au Hongrois, etc. Cela ne rapporte généralement pas grand chose. Mais quel plaisir de voir un livre qu’on écrit ou auquel on a cru, sortir dans une ou plusieurs langues inconnues !
De plus, pour certains écrivains, il y a la fameuse course aux prix. J’en ai recensé une bonne cinquantaine en Suisse romande. Et il y en a des milliers en France ! Un prix, c’est bien sûr une magnifique distinction.
Mais il n’y a finalement qu’un tout petit nombre de prix qui amènent de très fortes ventes. Presque aucun en Suisse romande. En France, ce sera le Goncourt, le Renaudot, le prix des lectrices de Elle, le prix des auditeurs de France Inter, etc. Mais le très fameux Nobel de Littérature ne garantit pas un succès de librairie ! Les bandes ajoutées sur un livre font toujours un immense plaisir ! Et pour le jury, le bonheur « d’en être » et de bien déjeuner, en bonne compagnie, reste très agréable…
Nos amis suisses-allemands sont de grands amateurs de lecture d’ouvrages en général par leurs auteurs. Ils peuvent parfaitement remplir des salles pour cette prestation assez statique. En francophonie, c’est beaucoup plus rare, Fabrice Luquini réussi l’exercice avec classe, en comédien. Chez nous, c’est un exercice moins goûté.
On doit évoquer ici le nombre très important de livres réalisés à compte d’auteurs. Ils sont beaucoup plus nombreux qu’on ne l’imagine.
Il y a bien quelques années, un des dix plus grands éditeurs parisiens, à qui je demandais pourquoi il avait publié tel livre absolument impossible à vendre, m’avait répondu : « Lorsqu’on lui a refusé son livre, l’auteur est venu avec une grande liasse de billets. Comme l’ouvrage n’était pas du tout mal écrit, on n’a pas pu lui refuser la publication ! » Il y a des maisons parisiennes qui publient des milliers de livres, jamais vraiment distribués en librairie, sur une base contractuelle de compte d’auteur plus au moins déguisé. C’est au moins une bonne affaire pour un de ces éditeurs qui est principalement imprimeur. Ici, c’est plutôt des aides à la publication qui permettent l’existence des livres dont le potentiel est très faible. Au plus grand bonheur d’auteurs qui sont, par ailleurs, souvent très compétents.