Contre une mise sous tutelle des créateurs culturels

Numéro 51 – Septembre 2016

L’avant-projet du Conseil fédéral pour la nouvelle LDA prend le parti d’une surveillance renforcée des sociétés de gestion. S’il devait aboutir, cela aurait des conséquences surtout négatives pour les artistes et les producteurs.

Dans la LDA en vigueur, les cinq sociétés de gestion sont soumises à surveillance dans les domaines dans lesquels les ayants droit sont tenus d’exercer leurs droits collectivement. La surveillance comporte trois piliers :

  • l’examen des tarifs par la Commission arbitrale fédérale (CAF) afin de garantir que la rémunération soit équitable,
  • le contrôle de la gestion d’affaires des sociétés par l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI) afin d’en garantir l’efficacité et
  • la vérification par l’IPI des règlements de répartition établis par les sociétés de gestion afin de garantir que la répartition obéisse à des règles strictes et ne soit pas arbitraire.

Le système en place est approprié dans sa manière de tenir compte des différents intérêts des acteurs concernés. La surveillance des sociétés de gestion dans les domaines où celles-ci détiennent un monopole protège ainsi ses partenaires, en l’occurrence les usagers et les membres. Grâce à l’absence de contrôle au regard de la gestion collective facultative, les sociétés de gestion sont soumises aux mêmes conditions sur le marché que les autres opérateurs, ce dont bénéficient en retour les artistes, éditeurs et producteurs.

Le système est équilibré, pourtant le Conseil fédéral estime qu’il faut le supprimer. Son avant-projet pour la nouvelle LDA prévoit ainsi de soumettre également à surveillance le domaine sans monopole et d’étendre la surveillance en matière de gestion et de règlement de répartition d’un actuel « contrôle de l’application du droit » à un « contrôle de l’équité ». L’autorité de surveillance vérifierait alors non seulement si les sociétés remplissent leurs obligations légales, mais également si – dans la marge de leur pouvoir d’appréciation – elles auraient dû agir différemment pour résoudre un problème de manière appropriée.

Ce renforcement de la surveillance défend avant tout l’intérêt des utilisateurs de droits d’auteur, comme le prouvent les prises de position de ceux-ci. Ainsi, la Fédération des utilisateurs de droits d’auteurs et voisins (DUN) salue la réglementation, arguant que, dans la mesure où elles bénéficient d’une autorisation étatique, les sociétés de gestion doivent également se soumettre à un contrôle étatique. Un avis défendu essentiellement dans l’espoir qu’une surveillance des tarifs dans le domaine volontaire fasse baisser les redevances de droits d’auteur. Les sociétés de gestion ne sont cependant pas les seules à s’opposer au projet du Conseil fédéral. Les associations des créateurs culturels et producteurs telles que Suisseculture, IFPI Suisse, la Société Suisse des Artistes Interprètes rejettent purement et simplement le projet fédéral. Voici les principaux arguments repris de leurs réponses à la procédure de consultation. La surveillance renforcée constitue une ingérence inacceptable dans les droits constitutionnels des créateurs culturels et met ces derniers sous tutelle. En tant que membres des sociétés de gestion, les créateurs culturels peuvent exercer eux-mêmes leurs droits et n’ont pour cela pas besoin d’être « aidés » par l’État. Les associations renvoient en outre à l’« Analyse de l’adéquation des frais administratifs des sociétés de gestion » publiée récemment sur recommandation du Contrôle fédéral des finances. L’étude conclut notamment que les frais administratifs des sociétés de gestion des droits d’auteur sont dans
l’ensemble adéquats.

Le projet fédéral ne trouve pas davantage de soutien parmi les partis, dont la majorité le rejette. Seul le PS approuve l’idée de sa conseillère fédérale, tandis que l’UDC ne se prononce pas du tout. Dans sa prise de position, le PDC se dit opposé à une extension des dispositions sur la surveillance et des contrôles de l’équité, qui ne fait qu’engendrer des charges additionnelles pour toutes les parties impliquées et va ainsi à l’encontre de la pensée économique libérale.

La surveillance renforcée constitue une ingérence inacceptable dans les droits constitutionnels des créateurs culturels.

Cela étant, le débat en la matière n’est pas clos. Les créateurs culturels satisfaits du travail que fournissent leurs sociétés de gestion devraient se mobiliser contre le projet du Conseil fédéral. Et tous ceux qui trouvent des défauts à l’activité des sociétés devraient leur soumettre directement leurs critiques.