Blocages d’offres illicites sur internet

Numéro 53 – Mars 2017

En 2015, le Conseil fédéral a présenté son projet de loi sur les jeux d’argent (LJAr). Ce texte devrait remplacer les actuelles lois fédérales sur les loteries et paris professionnels et sur les maisons de jeu. Le Conseil des États a approuvé le projet par 41 voix contre 0. Un résultat quasi stalinien. Toutefois, en vue des délibérations au Conseil national, l’opposition s’est réveillée : on a pu lire que la nouvelle loi reposerait sur un souci de protectionnisme dépassé. Au cœur des critiques figurent notamment les dispositions permettant de bloquer l’accès à des offres illicites sur internet.

Le système envisagé

D’après l’art. 84 LJAr, l’accès à une offre de jeux d’argent en ligne devrait être bloqué si celle-ci n’est pas autorisée en Suisse ; cela pour autant toutefois que l’exploitant ait son siège à l’étranger ou le dissimule. Les blocages seraient exécutés par les fournisseurs d’accès à internet, sur la base de listes publiées par la Commission fédérale des maisons de jeux (CFMJ) et par l’autorité intercantonale de surveillance et d’exécution. Cependant, des possibilités d’opposition seraient données aux exploitants et aux fournisseurs (art. 85 et 86 LJAr). De plus, le public serait renseigné grâce à une publication adéquate des listes de la CFMJ et de l’autorité intercantonale, et par des messages d’information lorsqu’un utilisateur tente d’accéder à un site bloqué (art. 85, 86 et 87 LJAr).

Les critiques...

Les mesures de blocages prévues par la LJAr présentent donc de nombreuses similitudes avec celles envisagées par le Conseil fédéral dans le cadre de la révision de la loi sur le droit d’auteur (voir CultureEnJeu N° 51, p. 9). Dans les deux domaines, elles se heurtent à la contestation des fournisseurs d’accès et des partisans d’un internet libre. S’agissant de la LJAr, une expertise commandée à l’Université de Zurich a conclu que les blocages étaient problématiques d’un point de vue constitutionnel, car ils portent atteinte à des droits fondamentaux sans être justifiés par le principe de la proportionnalité : en effet, d’un point de vue technique, il est relativement facile de les contourner.

…et les principes fondamentaux de l’État de droit

Il est clair qu’aucune solution technique n’est absolue et qu’il sera toujours possible d’aller à son encontre. Comme le disait Charles Clark : « La réponse à la machine est dans la machine »… Toutefois, le blocage d’une page internet rend l’offre illicite moins conviviale : il faudra trouver d’autres moyens d’y accéder. Cela sera souvent ressenti comme fastidieux et pourra dissuader plusieurs personnes de recourir au service illégal. Il est donc faux d’affirmer que les blocages n’ont pas d’effet. Par ailleurs, l’opposition à ceux-ci est souvent dictée par le souci d’éviter l’overblocking, c’est-à-dire la mise hors d’accès de contenus licites conjointement au blocage de prestations illégales. C’est un souci légitime, mais dont il ne faut pas exagérer l’importance. Dans les années 1990, lorsqu’un vidéo-club louait des cassettes pirates, des plaintes étaient déposées contre lui, ce qui aboutissait à la saisie des produits illicites. Si l’exploitant vivait du piratage, il devait alors fermer son magasin, même si - accessoirement - il commercialisait aussi des produits légaux. Personne ne s’en offusquait et criait à la violation des droits fondamentaux. Pourquoi devrait-il en aller autrement sur internet ?

Le blocage d’une page internet rend l’offre illicite moins conviviale.
Ressenti comme fastidieux, il pourra dissuader de recourir au service illégal.

Certes, d’importants droits constitutionnels sont en jeu et doivent être pris en considération : la liberté économique des prestataires de services et des fournisseurs d’accès à internet, la liberté personnelle de ceux qui participent à des jeux d’argent, la liberté d’information dans le domaine du droit d’auteur, etc. Il est vrai aussi qu’internet est un outil formidable pour la transmission du savoir. Mais cela ne doit pas conduire à une tolérance excessive des comportements illégaux. À trop vouloir invoquer les droits fondamentaux, on risque en effet de fouler au pied les principes fondamentaux de l’État de droit...