Lutte contre le piratage

Numéro 51 – Septembre 2016

Un volet important de l’avant-projet de révision de la LDA est constitué d’un paquet de mesures contre le piratage. Ces dernières sont tirées du compromis trouvé au sein de l’AGUR12 et reposent sur la collaboration des fournisseurs d’accès et d’hébergement.

A certaines conditions, ceux-ci devraient supprimer le contenu illicite, empêcher qu’il soit rechargé, bloquer l’accès à des sites pirates ou envoyer des messages d’information aux usagers qui enfreignent le droit d’auteur. Bien que louable dans son principe, la réglementation proposée contient à notre avis certaines lacunes.

Obligations de  take down et de stay down

Sur demande des ayants droit ou de l’autorité, les fournisseurs d’hébergement devraient supprimer le contenu chargé de manière illicite (take down, art. 66b al. 1 AP-LDA). Le fournisseur de contenu aurait toutefois la possibilité de faire opposition (art. 66b al. 2 et 3 AP-LDA). A défaut d’opposition ou si le retrait du contenu illicite est confirmé, les fournisseurs d’hébergement devraient alors aussi empêcher que ce contenu soit à nouveau mis à disposition, par la même personne ou par une autre (stay down, art. 66b al. 4 AP-LDA). Toutefois, les fournisseurs affiliés à un organisme d’autorégulation seraient dispensés de cette obligation (art. 66c al. 2 AP-LDA). Ces organismes seraient surveillés par l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI), qui devrait notamment approuver leurs règlements (art. 66c al. 5 AP-LDA). Toutefois, d’après l’art. 66c al. 3 AP-LDA, lesdits règlements devraient contenir une obligation de take down, mais pas nécessairement de stay down. On peut donc se demander s’il est opportun de favoriser ainsi une autorégulation qui n’aurait qu’un effet limité pour la lutte contre le piratage. A notre avis, la loi devrait prévoir un standard minimum d’autorégulation supérieur à celui découlant de l’art. 66c al. 3 AP-LDA, pour que la lutte contre le piratage soit efficace, ait des effets durables et soit menée en collaboration avec les ayants droit. A relever que les fournisseurs d’hébergement ne pourraient pas s’affilier à un organisme d’autorégulation si leur modèle commercial repose sur l’encouragement de violations systématiques du droit d’auteur (art. 66c al. 1 AP-LDA). Dans ce cas, l’obligation de stay down vaudrait donc sans limite.

On demande à l’ayant droit de tolérer la violation de ses droits durant une année avant de pouvoir intervenir…Cela n’est guère acceptable.

Mesures de blocage

Sur ordre de l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (agissant sur demande des lésés), les fournisseurs d’accès basés en Suisse devraient bloquer l’accès aux sites internet qui violent le droit d’auteur, lorsque le fournisseur d’hébergement est situé à l’étranger ou dissimule son siège, et lorsque les œuvres ou autres objets protégés sont déjà disponibles licitement en Suisse (art. 66d AP-LDA). Les blocages prononcés devraient être communiqués publiquement (art. 66e al. 1 et 66f AP-LDA) et il y aurait des possibilités d’opposition (art. 66e al. 2 à 6 AP-LDA). Nous peinons toutefois à comprendre pourquoi de tels blocages nécessiteraient que les œuvres soient déjà commercialisées en Suisse. Le piratage d’un film non encore disponible serait-il moins grave que celui d’un DVD qui se trouve dans toutes les échoppes ? L’aspiration des consommateurs à bénéficier de plus d’offres légales est certes compréhensible. Mais, pour ce faire, il faut justement protéger les entreprises innovantes contre la concurrence déloyale du piratage.

Messages d’information et identification des pirates

A la demande des ayants droit ou de l’autorité, les fournisseurs d’accès devraient envoyer des messages explicatifs aux titulaires de connexions internet  utilisées pour violer gravement les droits d’auteur dans des réseaux peer-to-peer (art. 66g AP-LDA). Si ces messages explicatifs restent sans effet, l’ayant droit lésé pourrait intenter une action civile afin de connaître l’identité du pirate. Mais, pour cela, deux messages ignorés seraient nécessaires dans le délai d’une année (art. 62a AP-LDA). En d’autres termes, on demande à l’ayant droit de tolérer la violation de ses droits durant une année avant de pouvoir intervenir... Cela n’est guère acceptable.

Exonération de responsabilité

Les fournisseurs d’accès et d’hébergement qui remplissent les obligations prévues bénéficieraient en contrepartie d’une exonération de responsabilité vis-à-vis des ayants droit et de leurs clients (art. 66k AP-LDA). Il est donc indispensable que les lacunes identifiées ci-dessus soient comblées, afin que l’efficacité de lutte contre le piratage soit garantie.