La copie privée est régie en Suisse par les art. 19 et 20 LDA. L’utilisation d’une œuvre divulguée à des fins personnelles ou dans un cercle de personnes étroitement liées, tels des parents ou des amis, est autorisée par la loi.

Un droit à rémunération en faveur des auteurs est toutefois prévu en contrepartie : les « producteurs et importateurs de cassettes vierges et autres supports propres à l’enregistrement d’œuvres sont tenus de verser une rémunération à l’auteur » pour la copie privée (art. 20 al. 3 LDA). Ce droit ne peut être exercé que par les sociétés de gestion agréées (art. 20 al. 4 LDA), c’est-à-dire par les coopératives SUISA, Suissimage, ProLitteris et SSA, et par l’association Swissperform s’agissant des droits voisins. L’art. 19 al. 2 LDA précise que la personne autorisée à effectuer des reproductions pour son usage privé peut aussi charger un tiers de la réalisation des copies. Bien que l’activité du tiers soit alors autorisée, il devra lui aussi payer une rémunération à l’auteur de l’œuvre, laquelle ne pourra être encaissée que par les sociétés de gestion (art. 20 al. 2 et 4 LDA).

Les tendances actuelles en matière de copie privée

Dans le domaine musical, depuis quelques années, on assiste à un déclin des copies privées durables, vu l’avènement du streaming. Désormais, on écoute plus la musique qu’on ne la reproduit. En témoigne l’apparition de services « légaux » comme Spotify ou Deezer. Et lorsque le consommateur stocke un morceau de musique, il le fait fréquemment « dans le nuage », c’est-à-dire sur des serveurs distants exploités par des tiers, ce qui lui permet d’accéder au contenu de n’importe où et au moyen de n’importe quel appareil (à condition de disposer d’une connexion à internet). Il s’agit d’une forme de cloudcomputing. Parallèlement, de nouveaux modes de copie privée apparaissent. On pense ici à ceux que permettent les services de télévision numérique. Au final, lorsqu’un téléspectateur met une émission sur pause, il réalise une copie privée qui lui permettra de reprendre le visionnement de l’émission en léger différé. Il en va de même s’il programme l’enregistrement du film qui passera le soir, pour en profiter le lendemain : le film sera alors enregistré soit sur sa set top box, soit sur les serveurs du fournisseur du service (ce qui représente une autre forme de cloudcomputing).
En Suisse, la copie privée est autorisée, sans qu’il soit nécessaire de distinguer si sa source est légale ou illégale.

La question de la légalité de la source

En Suisse, la copie privée est autorisée par la loi de manière générale, sans qu’il soit nécessaire de distinguer si sa source est légale ou illégale. Cette approche n’est pas remise en cause par l’avant-projet de révision du droit d’auteur, bien que le droit européen connaisse la solution inverse. A notre avis, cela doit être salué : la solution suisse ne criminalise pas les consommateurs, tout en permettant une rémunération effective des ayants droit. A quoi sert-il en effet de prévoir des droits exclusifs impossibles à faire respecter, la sphère privée de l’utilisateur étant le plus souvent, par définition, inaccessible aux ayants droit ? Nous préférons l’approche pragmatique consistant à autoriser ce que l’on ne peut pas interdire, et à prévoir des redevances à titre de compensation.

Le problème dit « du double paiement »

Mais force est de constater que les redevances pour la copie privée sont souvent mal comprises: elles sont critiquées par l’industrie, mais aussi par le public en général. Celui-ci ne comprend pas qu’il faille payer le prix d’un téléchargement sur une plateforme comme iTunes, et qu’en plus il y ait encore des redevances sur la mémoire du lecteur MP3, du téléphone portable ou de la tablette tactile. Le public estime qu’il y a un « double paiement ». Le grief est discutable, notamment parce qu’il n’est pas démontré que les redevances pour la copie privée conduisent effectivement à un renchérissement du matériel d’enregistrement supporté par le consommateur. Si l’on compare les prix pratiqués dans un pays comme l’Angleterre (qui ne connaît pas les redevances) et ceux qui sont en vigueur en Suisse, on ne constate aucune différence notable. Les redevances pour la copie privée apparaissent plutôt comme une charge équitable, supportée par l’industrie en contrepartie du chiffre d’affaires qu’elle réalise grâce aux œuvres protégées (sans lesquelles moins de matériel d’enregistrement serait vendu). Il n’en demeure pas moins que l’objection du « double paiement » nuit à l’acceptation populaire du système de copie privée. Il est donc compréhensible que l’avant-projet souhaite résoudre le problème. Mais la voie proposée n’est pas cohérente : d’après l’art. 19 al. 3bis AP-LDA les «reproductions autorisées contractuellement» seraient exonérées de redevances. Apparemment, on entend par là les reproductions autorisées par la plateforme vis-à-vis du consommateur. Mais parallèlement, ces copies seraient toujours licites d’après l’art. 19 LDA. Dès lors, comment des reproductions autorisées par la loi pourraient-elles être « autorisées contractuellement » ? A notre avis, la solution juridiquement correcte serait de soumettre au droit exclusif de reproduction les copies privées réalisées à partir d’une plateforme « légale » (donc de les exclure du champ d’application de l’usage privé autorisé), ce qui permettrait à l’ayant droit de les licencier auprès de la plateforme. La redevance pour la copie privée pourrait alors effectivement être supprimée, puisqu’elle est la contrepartie de la licence légale.
Autoriser ce que l’on ne peut pas interdire et prévoir des redevances à titre de compensation.

Questions relatives au streaming et au cloudcomputing

En cas de streaming, aucune copie durable n’est réalisée sur l’appareil de l’utilisateur. En revanche, une reproduction transitoire (« éphémère ») est effectuée pour la durée de la consultation. Toutefois, cette copie échappe au droit d’auteur en vertu de l’art. 24a LDA. En 2014, une motion de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national (motion 14.3293) a demandé au Conseil fédéral de présenter des alternatives au système actuel, permettant de tenir compte de l’évolution technique. Dans l’avant-projet de révision, le Conseil fédéral renonce cependant à réformer le système pour tenir compte du streaming, au motif que la seule alternative possible serait d’instaurer une licence globale (flatrate), c’est-à-dire de légaliser la mise à disposition d’œuvres à des fins non commerciales, contre paiement d’un forfait par les fournisseurs d’accès à internet. Cette argumentation n’est pas convaincante. En effet, on pourrait très bien restreindre la portée de l’art. 24a LDA, pour permettre la perception d’une redevance sur la copie privée « éphémère » réalisée par le consommateur lors de la consultation. Cela serait opportun en tout cas lorsque la mise à disposition de cette œuvre n’a pas été autorisée. On mettrait ainsi sur pied d’égalité le streaming et le téléchargement, assurant de la sorte la neutralité technologique de la LDA. Dans le domaine du cloudcomputing, l’exploitant du serveur est souvent situé à l’étranger. Par conséquent, certaines questions se posent : quelle est la loi applicable ? Avec qui négocier le tarif de redevance ? Comment résoudre les difficultés d’encaissement dues à l’internationalité ? L’avant-projet considère simplement que le droit actuel est suffisant en matière de cloudcomputing. Pour les raisons précitées, nous en doutons. Le système suisse concernant la copie privée est certes opportun, en ce qu’il ne criminalise pas les consommateurs. Mais il implique aussi, en contrepartie, un appareil de redevance efficace et adapté aux circonstances actuelles, pour que les ayants droit soient équitablement rémunérés. Il serait donc opportun de prévoir que l’obligation de rémunération est aussi à la charge de la personne en Suisse qui permet d’accéder à la capacité de stockage. Il y aurait ainsi un parallèle avec l’actuelle redevance sur les supports vierges, qui est due non seulement par le producteur, mais aussi par l’importateur des supports lorsque ce producteur n’a pas son siège en Suisse (art. 20 al. 3 LDA).
La redevance pour la copie privée pourrait être supprimée, si elle devenait la contrepartie de la licence légale.

En guise de conclusion

Globalement, l’approche de l’avant-projet de révision concernant la copie privée laisse donc à désirer. Le goût d’inachevé concerne aussi un aspect fondamental : à l’inverse de l’Europe, la Suisse tolère la copie privée effectuée à partir de sources illicites. Parallèlement, elle veut éviter un « double paiement » injustifié pour le consommateur. En d’autres termes, la Suisse donne aux redevances pour la copie privée une justification compensatoire : elle les prévoit lorsqu’elle préserve la liberté des consommateurs de profiter gratuitement de toute offre en ligne, même non autorisée. Bien qu’exceptionnelle en Europe, cette approche peut se justifier. Mais elle devra alors être poursuivie de manière conséquente jusqu’au bout : il n’est pas justifiable qu’elle soit réservée aux cas de reproduction « classiques », et qu’elle ne concerne pas la consultation gratuite en streaming ou le cloudcomputing