Deux leçons capitales pour les médias suisses
Le Brexit
The Sun, le tabloïd extrêmement populaire en Grande-Bretagne appartenant au groupe multinational Murdoch, rejoint en bloc par les autres journaux populaires, a fait une campagne terriblement agressive pour le Brexit. Dans une démocratie aussi solide que celle de la Grande-Bretagne, et à l’heure d’internet, cela donne la mesure des dégâts que peut provoquer une presse populaire unilatérale, intolérante.
La presse suisse et les fenêtres publicitaires étrangères
Dans le désastre des fenêtres publicitaires, qui sont en passe de draîner la majorité des ressources publicitaires TV en Suisse, la presse privée a extrêmement mal joué sa partie depuis dix ans.
Tout d’abord elle est restée indifférente ou même hostile à la SSR au Parlement, lors de l’élaboration de la loi radio-TV qui a autorisé les chaînes européennes à ouvrir des fenêtres publicitaires suisses.
Ensuite la presse privée a détourné le regard quand la RTS a mené le second combat symbolique contre M6, qu’elle a perdu devant un tribunal fribourgeois, très malencontreusement confirmé par le Tribunal fédéral. Et pourtant, le dossier était juridiquement étayé : les TV étrangères vendent des droits « suisses » pour des films qu’elles n’ont achetés que pour la France, l’Allemagne ou l’Italie. La Suisse tolère que les chaînes étrangères « débordent » sur le territoire suisse, mais la Suisse ne devrait en aucun cas autoriser que ce débordement permette à ces chaînes françaises, allemandes ou italiennes d’encaisser des centaines de millions pour des publicités exclusivement destinées à la Suisse.
Croyant réaliser une bonne opération indirecte en nuisant à la SSR (c’est le cas en effet, mais en partie seulement), la presse privée et les partis du centre et de la droite se sont octroyé un terrible auto goal : la presse est concernée aux 2/3 par cette perte, contre 1/3 pour la SSR. Résultat : une perte de 100 millions de chiffre d’affaires publicitaire chaque année pour la presse suisse.
Rappelons la délicieuse position officielle du gouvernement interpellé à ce sujet en 2011 par le sénateur Didier Berberat (PS) : « Le Conseil fédéral considérait alors que du point de vue économique et de celui de la politique des médias, ces fenêtres publicitaires n’étaient pas souhaitables, mais que juridiquement parlant elles ne pouvaient être interdites. Le Conseil fédéral reste de cet avis aujourd’hui. »
Pourtant, depuis que la Suisse a été expulsée de l’accord MEDIA après le vote du 9 février 2014, la Convention européenne qui s’applique par défaut autorise des exceptions pour les petits pays, c’est même la Suisse qui avait obtenu cette clause spéciale. Mais il y a peu de chances que la droite se lance dans cette bataille. La société qui commercialise quelques-unes des fenêtres publicitaires suisses, dont celles de M6, s’appelle Goldbach Media. Un des « Partner Relation Manager » de cette société est la conseillère nationale UDC Nathalie Rickli. Celle-là même qui mène les principales attaques contre la SSR au Parlement. Partagée entre la mainmise politique blochérienne et les fenêtres publicitaires étrangères, il ne faut guère s’attendre à ce que l’UDC défende les intérêts des médias suisses dans ce domaine !
› CultureEnJeu a déjà traité ce sujet dans les n°16 de novembre 2007, n°21 de mars 2009 et n°25 de mars 2010.