Act of God

Numéro 66 – Juillet 2020

Lorsque nous parlons de cas de force majeure, les Anglo-Saxons utilisent l’appellation act of God, le fait de Dieu. L’être humain utilise souvent Dieu à toutes les sauces selon ses besoins, ses désirs ou ses peurs.

La devise des jésuites Ad majorem Dei gloriam (Pour la plus grande gloire de Dieu) a parfois été détournée par ceux qui désiraient avant tout servir leurs propres intérêts, sans parler du cri de ralliement Gott Mit Uns (Dieu avec nous) des chevaliers teutoniques du XIIIe siècle, qu’on retrouve sur les fermoirs des ceinturons des armées allemandes depuis la Première Guerre mondiale jusqu’en 1961. Sur les billets de banque américains, on lit aujourd’hui encore In God We Trust (En Dieu nous croyons) et quand, le 11 septembre 2001, deux avions s’écrasent contre les Twin Towers à New York, de très nombreux passants sur place ou les spectateurs devant leurs écrans TV s’écrient « Oh my God ! ». Ah, j’oubliais ! Même madame, au lit avec son amant, entendant son mari monter les escaliers, s’exclame : «Ciel! Mon mari...»

Certes, les intentions des promoteurs des trois devises citées sont nobles et le choc devant la surprise totale de l’impensable des événements du 11 septembre ou celle de l’arrivée impromptue du mari sont compréhensibles. Mais pourquoi, dans une situation émotionnelle majeure, faire immédiatement référence à l’Invisible, à l’Inatteignable ? N’ai-je pas entendu plusieurs fois, au début des années 1990, des connaissances m’affirmer que le sida est une punition de Dieu ?! Et cela s’est répété, dans une moindre mesure, avec l’arrivée du Covid-19.

La complexité inextricable des causes et des effets n’est maîtrisable par personne. Le hasard vient nécessairement contrecarrer les projets les mieux établis.

Frédéric Dürrenmatt

Pour de très grands projets, les auteurs essaient de mettre dans leur poche l’Éternel afin d’entraîner avec eux le plus grand nombre. Les Teutons dans la christianisation du nord-est de l’Europe, les jésuites dans l’esprit de la Contre-Réforme, les Américains à la suite du traumatisme de la guerre de Sécession. Quant aux individus, devant l’inexplicable ou l’inattendu, chaque fois que « le hasard vient nécessairement contrecarrer les projets les mieux établis », se sentant abandonnés, ils cherchent souvent un refuge à travers un appel à l’aide de l’Au-delà. Les plus engagés, devant la mort, s’écrient « Vive la République ! » ou «Vive le Roi!», les plus sensibles lancent un déchirant « Maman ! ».

Dans de très nombreux cas d’accidents ou d’imprévus (mais prévisibles parce que récurrents), les assurances acceptent d’être des bouées de sauvetage contre primes payées à l’avance. Elles jouent le jeu, comme les casinos ou les loteries, puisqu’elles fonctionnent selon des algorithmes qui, par principe, font toujours d’eux les grands gagnants. Ils sont un peu le bouc émissaire (payant) dont on se sert pour sortir des ennuis. Un peu comme l’homme qu’on payait autrefois pour partir à la guerre à sa place. Mais quand le hasard intervient et qu’il n’y a plus de gagnant possible, alors les assurances et les individus lèvent les mains au ciel devant un Act of God. Ne pouvant pas faire intervenir directement l’Éternel, les humains vont tout d’abord chercher des responsables, coupables ou innocents, pour tranquilliser les esprits, quitte à mentir effrontément (situation du manque de masques en France).

Et dans les meilleurs des cas ils vont se retrousser les manches et prendre rapidement les meilleures décisions possibles.


En 2009, participant à la production d’un film helvético-franco-canadien à gros budget, je me souviens de son interruption brusque à quelques jours du début du tournage. L’État de l’Iowa, aux États-Unis, qui intervenait dans le financement avec un apport de 6 500 000 dollars venait de faire faillite. Le gouverneur coupa immédiatement dans les budgets de l’éducation, de la culture et de la santé. Ces coupures ne suffisant pas, il décida de ne pas honorer les engagements financiers pris par l’État. Pour cela, il chercha immédiatement un bouc émissaire, accusant faussement le responsable des investissements en tax shelter (déduction fiscale) de corruption, dénonçant et annulant ainsi environ 120 contrats, dont le nôtre. En quarante-huit heures, nous dûmes interrompre la production du film et renvoyer chez eux près de 150 techniciens et comédiens. Devant cet act of God,la raison d’État et le mensonge sont entrés en scène et ont gagné.

L’arrivée du Covid-19 a provoqué des situations chaotiques assez proches de celle-ci, et dramatiques, acculant souvent les gouvernements à des tromperies et des impostures. Dès que le hasard change les cartes, les hommes ne respectent plus les règles du jeu au détriment de l’individu. Car l’homme aujourd’hui se prend pour un dieu sans pour autant assumer sa responsabilité devant l’imprévisible.

L’histoire se répète souvent. Et comme Sisyphe nous devrons remonter la pente en roulant de nouveau notre rocher jusqu’à la cime, en espérant que celui-ci ne retombe pas de sitôt au bas de la pente.

Si les dieux nous assistent!