Illustration: Olga Prader

Quelles sont les pratiques autour des publications imprimées et numériques au sein des institutions culturelles, tous domaines confondus ou presque : arts visuels, danse, théâtre, cinéma, musique ? Quelles sont leurs formes, leurs contenus et leurs fonctions ? Prémisses d’un petit état de la question, éclectique et sans visée exhaustive, à partir de conversations avec des représentant·e·s de quelques institutions suisses.

Pourquoi et comment les institutions culturelles documentent-elles leurs activités in situ ? Les pratiques numériques et imprimées s’y côtoient le plus souvent, telles que les affiches, programmes imprimés ou numériques, communiqués de presse, feuilles de salle, guides de visite, supports de méditation, contenus audiovisuels, sites internet, newsletters et réseaux sociaux. A cette base s’ajoutent, en fonction des moyens financiers, de l’envergure de l’événement et de la stratégie adoptée, quantité d’autres propositions telles que des applications pour smartphones, des magazines, des ouvrages anniversaires, des blogs ou des chaînes TV.  Grand dénominateur commun en tous les cas quand les moyens le permettent : le catalogue, publication d’envergure dont les institutions se passent difficilement. Bien que coûteuse et plus contraignante, l’édition imprimée - souvent grâce aux mécènes - s’avère précieuse pour la multiplicité de ses fonctions.

Accompagner les publics

Le catalogue est un outil de promotion et d’accompagnement auquel les publics sont souvent attachés. S’agissant de cinéma, selon Giona A. Nazzaro, directeur artistique du Festival du film de Locarno, celui-cipermet de communiquer un programme et guider les publics. Avec ses synopsis et les commentaires artistiques des sélectionneur·euse·s de films, il est aussi un outil de recherche et de formation. Dans les salles de théâtre, un équivalent existe sous la forme du cahier de salle : Le Poche, à Genève, l’offre à ses abonné·e·s pour leur permettre d’accéder physiquement au texte d’auteur·e·s contemporain·e·s peu connu·e·s et d’en apprécier la graphie, le rythme, la syntaxe ou la ponctuation particulières.

Diffuser le travail des institutions et des artistes

Pour Mathieu Bertholet, directeur du Poche, avec cet appareil dramaturgique, le théâtre constitue le premier créateur du texte de l’auteur·e pour lequel il fournit également un texte secondaire, remplissant une sorte de rôle encyclopédique. Une fois passé l’événement de la représentation, l’objet devient un outil de visibilité pérenne ; remède à la rareté des éditions de théâtre consacrées aux auteur·e·s vivant·e·s. Le livre permet ainsi de diffuser les recherches réalisées en amont d’un événement : celles de l’institution comme celles des artistes. Dans les musées d’art, le catalogue constitue ainsi souvent un prolongement des expositions en tant qu'aboutissement de plusieurs années de recherches scientifiques sous une forme augmentée, avec des textes scientifiques écrits par les conservateur·trice·s autour d'un axe thématique. 

Un objet physique, artistique et écologique

Selon Thibault Walter, co-directeur du Lausanne Underground Film and Music Festival, le catalogue imprimé est aussi un objet physique que l’on peut prendre en main, feuilleter, s’approprier, annoter et qui permet un cheminement et des accidents de lecture qui sont impossibles sur la toile. S’y ajoute la dimension artistique du livre, qui permet des inventions formelles et graphiques autant par sa forme que dans son contenu et qui bénéficie souvent de contributions d’artistes et d’auteur·e·s invité·e·s.

Selon Mathieu Bertholet, en plus de son utilité et de sa beauté, l’avantage du livre est aussi écologique puisque sa production est plus durable que s’il était diffusé sous une forme digitale. Pour Thibault Walter aussi, l’impression permet de maitriser l’énergie et la matière utilisées. Sans compter la possibilité que fournit l’impression de co-réaliser l’objet avec des artisan·e·s de proximité, de tester des matériaux et faire vivre des entreprises empêchées par le numérique.

le catalogue imprimé est aussi un objet physique que l’on peut prendre en main, feuilleter, s’approprier, annoter et qui permet un cheminement et des accidents de lecture qui sont impossibles sur la toile

Thibault Walter, co-directeur du LUFF

Collectionner, Archiver

Le catalogue comporte finalement une dimension historique qui vient au secours de l’éphémérité de l’événement in situ: il peut être conservé et diffusé dans l’espace et dans le temps comme souvenir personnel ou comme archive disponible collectivement - au sein de l’institution qui parfois continue parallèlement à le vendre, dans les bibliothèques, ou dans les archives locales et nationales. Selon Giona A. Nazzaro et Raphaël Brunschwig, les anciens catalogues sont des archives précieuses dans la préservation de la mémoire du Festival de Locarno qui existe depuis près de 75 ans, ainsi que comme témoin historique des us et coutumes locales. Elles s’avèrent utiles aussi lors de la mise en place de rétrospectives.

S’agissant d’œuvres anciennes, le catalogue peut posséder une valeur patrimoniale déjà à sa naissance. C’est le cas par exemple du Guide de la collection permanente du Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne offrant pour chaque reproduction des notices que l’on retrouve sur le site internet du musée : plus de 500 œuvres (parmi les 10'000 de la collection) y sont déjà reproduites et d’autres les rejoindront dans une visée de démocratisation de l’accès à l’art et de mise à disposition du patrimoine collectif.

De manière générale, les archives bénéficient d’une attention et d’une valorisation croissante. Mais selon Boris Brüderlin, directeur de RESO/Réseau Danse Suisse, s’agissant des arts vivants, ceux-ci sont surtout mus par la nécessité du live ou de la confrontation avec le public dans le moment présent et de l’exceptionnalité de la représentation. Par manque de moyens aussi, le théâtre et la danse se concentrent ainsi moins sur la trace qu’ils laissent et sur la conservation des œuvres à long terme. Aujourd’hui apparait alors l’urgente nécessité de mettre à leur disposition les moyens financiers pour documenter et conserver leur héritage.  Reste à penser sous quelle forme : Marina Porobic, commissaire d’exposition à l’Abbatiale de Bellelay et co-directrice du BONE Performance Festival relève que certains genres se laissent traduire sur les pages d’un livre plus facilement que d’autres : dès lors, comment une pratique visuelle fonctionne-t-elle sur le papier? Que faire avec le mouvement et la parole ? Et comment les fixer ou les traduire ainsi de façon durable ?