Être libraire, une sacré aventure
Dans la maison de mon enfance, il y avait des livres, beaucoup de livres, des livres partout.
Mon père, l’écrivain Maurice Zermatten, avait une bibliothèque incroyable, avec des ouvrages de tous genres, de toutes les époques, de toutes les cultures.
J’ai donc, toute jeune, été incitée à lire. Je me rappelle avoir lu à 14 ans La lumière des justes d’Henri Troyat, une histoire romanesque en cinq volumes qui avait touché mon âme d’adolescente. J’ai compris alors que cette lecture était le début de quelque chose, j’en ai éprouvé une certaine jubilation.
Chez nous il y avait souvent des écrivains, des artistes, des peintres qui venaient rendre visite à mon père. Lors d’une de ces rencontres, René Huyghe, le célèbre critique d’art français, a dit au cours de la conversation que sa fille était devenue libraire, ça m’a fait rêver. Ce jour-là j’ai décidé que moi aussi je deviendrai libraire, j’avais 17 ans. Mais je ne savais pas comment m’y prendre, mon vœu me paraissait de l’ordre de l’utopie.
J’ai donc poursuivi mes études et, après une licence de lettres, un bref parcours d’enseignante, Jean-Jacques Jost, bouquiniste à Sion, a bien voulu m’engager. Ça a été ma chance, il m’a appris le métier.
Trois ans plus tard j’ai eu l’opportunité de racheter La Librairie Moderne qui est devenue La Liseuse (www.laliseuse.ch). La véritable aventure allait commencer.
Avouons-le, ça n’a pas toujours été facile. Financièrement le libraire connaît des périodes de disette, suivies de saisons plus fastes. L’exercice exige du sang-froid et une certaine dose d’optimisme. Ces difficultés sont compensées par de grandes joies, la librairie étant un lieu de rencontres, de découvertes, d’échanges et de partage.
Depuis les années 2000, cependant, la librairie a vécu des moments difficiles. Pour mémoire, la guerre des prix entre les grandes chaînes a mis en péril jusqu’à faire disparaître un nombre impressionnant de librairies. Voilà pourquoi, à cette époque, nous nous sommes engagés pour une loi qui réglemente le prix du livre. Cette loi, nous l’avons obtenue devant l’Assemblée nationale. Elle a malheureusement été écartée suite à un référendum venu d’outre-Sarine.
Néanmoins cette campagne qui date de 2012 n’aura pas été inutile. Nous avons alors vu beaucoup de lecteurs revenir dans nos échoppes. Ils avaient compris que sans leur soutien la librairie où ils aimaient se rendre risquait de disparaître.
Au fil des ans, d’autres difficultés sont apparues : les nouvelles habitudes des consommateurs, la vente en ligne du livre papier à des prix cassés, le livre numérique, puis en 2015 le franc fort, nous ont mis à rude épreuve. Mais trop de gens fréquentent nos librairies pour que nous baissions les bras.
De tous temps nous avons dû nous adapter. Le travail que nous faisions il y a vingt ans était artisanal, tout a changé si brusquement. Nous allons continuer à exercer notre métier comme nous l’avons fait jusqu’à présent. Nous nous sommes ouverts aux nouvelles technologies, beaucoup de libraires ont maintenant un site de vente en ligne. Par l’intermédiaire de notre partenaire distributeur, l’Office du livre à Fribourg, nous vendons des livres numériques. Nous allons, comme par le passé, continuer à soigner nos clients, à être rigoureux, accueillants, rapides, (la rapidité est devenue le nerf de la guerre), de bonne humeur, cultivés, éclectiques, patients, ouverts, généreux… polyvalents.
Quelques bonnes nouvelles toutefois : en Angleterre et aux États-Unis, en France aussi, le livre papier est en train de regagner du terrain.
Et puis les cantons actuellement se penchent sur la manière d’aider les libraires. Car sans librairie, à quoi sert-il de subventionner les éditeurs s’ils n’ont plus de vitrines pour mettre en avant leurs auteurs.
Que l’on soit clair, nous sommes des entrepreneurs, des commerçants. En aucun cas nous ne voulons être subventionnés, mais on pourrait nous aider d’une autre manière.
Sur le plan fédéral nous pourrions imaginer que La Poste nous offre des tarifs préférentiels, comme c’était le cas il y a trente ans.
Sur le plan cantonal, les collectivités publiques pourraient maintenir ou développer une politique d’achat plus clairement orientée vers les librairies. On pourrait imaginer une aide au loyer pour que certaines librairies puissent rejoindre le centre-ville, ou une aide aux activités culturelles que nous organisons dans nos espaces, comme le fait déjà le canton de Genève.
Nous, libraires, avons une chance inestimable : l’acte de lire, en soi, ne disparaîtra jamais, quel que soit le support employé pour y parvenir : le livre broché, le livre de poche ou la tablette. Nos compétences pour l’offre et le conseil sont irremplaçables, nous sommes des passeurs de culture.