Éloge de la nature en mère de la culture

Numéro 67 – Septembre 2020

Cet an 2020 aura confronté des instances que l’esprit commun dissocie : non seulement le virus, mais la culture et notre environnement naturel brièvement réaperçu dans son caractère essentiel. De quoi penser le monde autrement.

On connaît la ligne de césure tracée par les hu­mains depuis quelques siècles, notamment Les Lumières, entre la nature et la culture. Comme d’ailleurs entre les sociétés humaines dites « primitives » et les sociétés dites « évoluées » – la nôtre s’arrogeant évi­dem­ment tous les pompons de ce statut.

Or cette mise en opposition du « naturel » et du « primitif » avec le présumé « civilisé » (si possible occidental), qui modèle nos comportements collectifs et nos représentations du monde, modèle donc aussi notre conception des arts et de la culture.

Je peux formuler la chose autrement : si notre temps présent s’est placé sous le signe dévastateur des entreprises pollueuses ou des coalitions perverses entre les banques et les industriels spécialisés dans l’exploitation de l’énergie fossile, par exemple, il n’est pas exclu qu’elle se soit aussi placée sous le signe d’une culture involontairement cousine de ces entreprises et de ces coalitions.

Je veux dire que cette culture, soit-elle parfois d’opposition franche et parfois risquée face aux pouvoirs de toutes sortes qui répandent le mal et l’iniquité sur notre planète, s’est autonomisée comme un secteur économique et parfois mondain largement éloigné de ce socle inspirateur fondamental à la disposition de l’espèce humaine que constitue son environnement d’animaux, de plantes, de paysages terrestres et de mers ou d’océans : elle n’étreint que rarissimement le plexus de l’humain sensible – comme y parvient pourtant, de façon presque immanquable, toute forêt bruissante ou démontée par le vent.

Qu’on lise à cet égard, et toutes broutilles cessantes, le philosophe français Baptiste Morizot, au­teur entre autres ouvrages de Sur la piste animale. Il renverse la perspective des Lumières en expliquant que « nos capacités intérieures sont pour la plupart des héritages animaux dont nous subvertissons l’usage ». Et qu’à partir de là, sur les traces du loup, par exemple, « l’homme dépourvu de nez doit éveiller l’œil qui voit l’invisible, l’œil de l’esprit ». Redevenir artiste, autrement dit, et se promener dans la culture comme dans une forêt qui bruisse ou se démonte.