Mettre en lumière le travail des femmes artistes au quotidien
1971-2021. Il y a 50 petites années à peine, les femmes obtenaient le droit de vote en Suisse. Quand et comment marquer cet anniversaire ? Chaque jour, en redonnant de la visibilité aux femmes artistes. Une volonté qui s’inscrit dans la continuité du numéro de mars 2019 où Culture Enjeu consacrait un dossier à la question.
Comme chaque année, la maison d’édition genevo-lausannoise art&fiction publie un agenda. Pour 2021, c’est un agenda « Deux mille vingt-et-une », un projet confié à la photographe et metteuse en scène Dorothée Thébert et à l’historienne de l’art Stéphanie Lugon. « On s’est vite aperçues que l’un des problèmes majeurs pour les femmes, c’est de manquer de modèles, de références, d’autres femmes qui disent que devenir artiste c’est possible », expliquent-elles. Alors elles se mettent en quête.
L’historienne de l’art Stéphanie Lugon fouille dans la base de données Sikart, le dictionnaire de l’art en Suisse, afin de faire émerger les artistes vivantes en 1971. « L’envie était de rassembler le plus de femmes possibles pour fêter cet anniversaire ! » affirme-t-elle. C’est finalement 940 invitées qui se baladent dans les pages de l’agenda. Leurs noms et disciplines sont égrenés au fil des jours : un rappel quotidien que les femmes artistes, bien que souvent invisibilisées, marquent littéralement chaque page de l’histoire de l’art en Suisse.
Dorothée Thébert a choisi de faire résonner les noms de ces pionnières avec des artistes contemporaines. Elle contacte des artistes de son entourage, puis d’autres par capillarité, et leur demande de parler de femmes qui les ont inspirées. Au fil des mois, on retrouve Caroline Bachmann, Virginie Delannoy, Christine Sefolosha, Vidya Gastaldon, Mai-Thu Perret, Naomi Del Vecchio, Anne Peverelli avec Suzanne Kasser, Céline Masson, Line Marquis, Cécile N’duhirahe, Delphine Reist, Livia Gnos et Marie Griesmar. A côté de leurs portraits, réalisé dans leur atelier à l’issue de la conversation, chacune raconte le parcours d’une autre et se raconte elle-même : « Quand j’ai découvert ce qu’elle faisait, ça m’a vraiment ouvert les yeux sur le fait que mon travail d’artiste pouvait rejoindre mes idées militantes. » se souvient la plasticienne Cécile N’Duhirahe au sujet de l’artiste multidisciplinaire Sasha Huber. Les entretiens sont transcrits de manière brute, dans un langage oral. Seuls des espaces suggèrent les ellipses de la conversation.
Au-delà de l’objet d’art, l’agenda « Deux mille vingt-et-une » s’inscrit dans une démarche : interroger ce qui fait archive, l’un des fils rouges du travail de Dorothée Thébert. « L’entretien dont on garde une trace brute constitue des archives, un instantané » suggère-t-elle.
Les changements s’opèrent lentement. La réalisation de l’agenda a donné l’occasion d’intégrer la vidéaste Carole Roussopoulos à Sikart, citée en référence par Delphine Reist. Ce n’est pourtant pas qu’une question de quantité, mais bien de qualité des archives : « Aujourd’hui sur Sikart, dans les artistes contemporaines, 40% sont des femmes. Mais beaucoup ont des fiches très incomplètes, avec seulement un nom et une date. » détaille Stéphanie Lugon. « Des femmes qui attendent que l’on fasse des études sur elles. » Un appel à prolonger ce projet, dans les milieux artistiques et au-delà, pour que l’histoire suisse n’appartiennent plus seulement aux hommes.