Apprendre le théâtre, une école de vie
« Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin…
Le théâtre est donc, au premier chef, un service public.
Tout comme le gaz, l’eau, l’électricité. » Jean Vilar
Le Jura est le seul canton suisse à dispenser une maturité gymnasiale avec option spécifique théâtre. La formation rencontre toujours plus de succès.
Justine a 19 ans. Elle est née à Delémont et ce jour-là, elle s’exerce au métier de journaliste : « Oui bonjour, pouvez-vous me parler du projet de Théâtre du Jura ? » L’étudiante a signé le Manifeste pour ledit Théâtre du Jura, comme plus de mille autres personnes, témoignant de sa volonté de soutenir la construction d’un écrin de création pour les arts de la scène dans son canton. Elle est étudiante en sciences de la communication et des médias à l’Université de Fribourg, ainsi qu’en anthropologie. Nous parlons de l’importance d’offrir une vitrine à tous ces talents jurassiens qui frôlent les planches si loin de chez eux. Et de celle, pour le public jurassien, de disposer d’un théâtre professionnel à portée d’autoroute. À la fin de l’entretien, c’est moi qui pose les questions. Au fait, pourquoi vous intéressez-vous au théâtre ?
Justine a 19 ans, et le théâtre, cet art que l’on imagine trop souvent réservé aux âmes mûres, est déjà pour elle un vieux copain d’études. Le Jura est en effet le seul canton suisse à dispenser une maturité gymnasiale avec option spécifique théâtre depuis 1994. Un petit miracle dû au rêve conjoint de trois grands amateurs d’art dramatique : le directeur du lycée d’alors, le fin lettré chef du service de l’enseignement, et un metteur en scène pédagogue dans l’âme et le cœur, Germain Meyer, à qui la Confédération a décerné un Prix suisse de théâtre, lui épinglant sur le revers l’insigne de « constructeur de théâtre ».
Depuis lors, comme Justine, 10 à 15 étudiants diplômés sortent du Lycée cantonal de Porrentruy avec une « matu-théâtre ». Deux à trois par année poursuivent sur cette voie-là. Comme Anne Comte, par exemple, la comédienne établie à Lyon, sortie de la première volée en 1997, avant de devenir l’élève d’André Steiger au Conservatoire de Lausanne. Mais tous ne finissent pas sous la lumière des projecteurs. Qu’importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse. « Le lycée offre une formation généraliste. En étudiant le théâtre, on est au cœur de l’humain et des relations sociales », explique Laure Donzé, leur dynamique prof depuis tant d’années, elle aussi issue de la première volée. Durant les quelque cinq heures hebdomadaires d’enseignement, mi- théoriques, mi- pratiques, dispensées pendant trois ans, les étudiants apprennent à travailler en équipe, à prendre confiance en eux, à créer des liens entre les choses. Laure Donzé est convaincue qu’ils acquièrent ainsi des compétences capitales pour le marché du travail : « Ils font partie d’une génération qui ne trouvera pas un emploi dans les petites annonces. Eux, leur métier, ils devront l’inventer ». être créatif, elle en est sûre, cela s’apprend. Et comment mieux que par le théâtre ?
Être créatif, cela s’apprend.
Et comment mieux que par le théâtre ?
En les emmenant voir des spectacles – passage obligé de la formation – elle leur apprend aussi à regarder, à juger : « Au début de la première année, quand nous sortons d’un spectacle, ils se contentent d’un « c’était bien » ou d’un « bof… ». Puis ils apprennent à argumenter, à observer la mise en scène, les costumes, la manière de jouer, l’éclairage, et nous finissons l’année par avoir des débats enflammés ». « Ma matu théâtre m’a appris à parler en public, à défendre mes idées et à connaître mon corps », renchérit Justine. « Pour mon travail de matu, j’ai dû tout faire : l’écriture, la mise en scène, mais aussi le budget, trouver la salle et organiser la comm. Un condensé de ce que l’on doit savoir pour monter n’importe quel projet, dans n’importe quel domaine ».
« Le lycée offre une formation généraliste. En étudiant le théâtre, on est au cœur de l’humain et des relations sociales. » Laure Donzé
Une école de vie, donc. Qui a toujours davantage de succès, malgré une sérieuse menace de suppression qui a pesé sur elle en 2010. Une pétition et des lettres d’amour adressées par brassées à la Confédération par d’anciens élèves ont sauvé, pour l’heure, cette formation unique. « Le théâtre comme langage social m’a poussée vers les réflexions sociologiques, et les études des rapports sociaux de pouvoirs, écrivait par exemple Elena Avdaji. Tout au long de mes études, le regard interrogateur et critique que cette option m’a transmis m’a guidée dans mes projets, mes démarches et mes idées ». La jeune femme, devenue cinéaste, vient de réaliser un court-métrage sur la matu théâtre jurassienne.