Commençons par distinguer les arts de la culture, les premiers constitués par les créations dont la mise en diffusion définit la seconde. Une césure dont Godard dit ceci dans Je vous salue Sarajevo, datant de 1993 : « Il y a la règle… ça va. Et il y a l’exception. La règle, c’est la culture. L’exception, c’est l’art. Non… Il y a la culture qui fait partie de la règle. Il y a l’art qui fait partie de l’exception… (…). » À partir de là cette question : de nos jours, quel est le statut respectif des femmes et des hommes dans ces deux domaines ?

Esquisse de réponse personnelle, d’abord, à propos de la culture :

je ne pense pas que, dans ce champ, les iniquités frappant les femmes dans la vie quotidienne économique et sociale soient aussi nettes.

Pourquoi ? Parce que la gestion de la culture requiert des aptitudes et des vertus déjà largement assignées aux intéressées par les traditions, voire par les clichés (dont on sait qu’ils fabriquent toujours un peu de la réalité, ou qu’ils en procèdent).

Ainsi pourrions-nous dire qu’il faut savoir apprêter dans le domaine culturel des plats fins, exercer des compétences d’organisation y compris comptable et matérielle, accomplir des devoirs d’accueil et déployer des visions d’avenir à long terme – aucune de ces prestations n’étant connotée par un principe de primauté virile.

À propos des arts, maintenant :

dans ce cas, c’est différent. Les femmes sont désavantagées. Mon hypothèse est qu’il leur faut faire valoir davantage de force, de talent et d’obstination que les hommes pour s’affirmer publiquement de manière équivalente. Même si le dispositif est ambigu.

D’une part, en effet, les arts restent perçus par le public comme étant le royaume d’une figure universellement fantasmée, celle du Créateur, qui est presque immanquablement masculine depuis l’avènement immémorial des dieux – sauf dans le domaine de la littérature, où la discrétion des auteurs peut (et peut-être doit) régner.

Mais, d’autre part, l’acte de créer requiert aussi chez quiconque, y compris chez les hommes, l’exploration d’une part « féminine » au tréfonds de soi. De cette part fluide où la sensibilité s’exacerbe sur le mode du doute, et d’une fragilité consentie très extérieure à l’esprit de conquête et de prédation typiques du mâle archétypal, de manière à produire la formulation la plus fine et la plus ajustée.

Après quoi vient la tâche ultime, pour l’artiste, de se faire connaître et de se « vendre ». Ce qui me semble de nouveau plus délicat pour les femmes que pour les hommes – tant elles sont moins enclines qu’eux à l’autoreprésentation désinhibée sur la scène publique. À moins d’être purement et simplement abusées par le pouvoir masculin, à l’instar d’une Camille Claudel face à Rodin. Fatalités pérennes, hélas.